"Les raisins de la colère" : la compagnie Demain dès l'aube s'empare avec force du best-seller de John Steinbeck
Nous sommes dans les années 30, aux États-Unis, dans l'Oklahoma. La crise économique de 1929 et une série de catastrophes climatiques poussent des milliers de paysans ruinés sur les routes, en direction de la Californie, avec l'espoir de trouver un emploi et une vie meilleure. Tom Joad, tout juste libéré de prison, retrouve la ferme familiale au moment où les siens s'apprêtent à quitter leur terre. La famille Joad entame alors un long périple sur la route 66, à travers les grandes plaines de l'Ouest. Le voyage est rude, la dislocation de la famille commence.
Et la Californie se révèle bien loin de l'eldorado imaginé. Rejetés et insultés par les habitants du pays fantasmé, les Okies, ces "bouseux" de l'Oklahoma, exploités par des patrons qui ne pensent qu’à augmenter leurs profits, devront lutter non seulement pour leur survie, mais aussi pour conserver leur dignité.
La naissance d'une conscience de classe
Si Hugo Roux a choisi d'adapter le chef-d’œuvre de John Steinbeck, c'est que ce roman publié en 1939 est porteur d'un souffle puissant. Il montre comment la violence du capitalisme modifie les hommes dans ce qu'ils ont de plus intime. Il décrit aussi avec justesse la naissance d'une conscience de classe et la colère qui l'accompagne. Une colère souvent montrée du doigt comme un sentiment vulgaire qui met à mal une société fondée sur les inégalités.
Après La Place d'Annie Ernaux, puis Leurs enfants après eux, adaptation du Goncourt de Nicolas Mathieu, et c’est la troisième fois que la compagnie Demain dès l’aube s’attaque à l'adaptation d'un roman, en l'occurrence un monument de la littérature. Le metteur en scène, cette fois encore, s’est attaché à restituer l’entièreté du roman, rester au plus près de l’intrigue. "C’est un travail dense que j’effectue d’abord seul, explique Hugo Roux. Cela donne une première version de 6 ou 7 heures que l’on retravaille ensuite avec les comédiens. On sélectionne ensemble les extraits qui resteront dans la version finale."
Malgré la détresse et la faim dont souffrent les personnages du roman, le metteur en scène s'efforce d'allumer quelques lumières. À l'image de Man, la mère de famille incarnée par la comédienne Valérie Blanchon, qui jamais ne renonce à l'espoir et s'accroche à la vie avec une force éblouissante. Dans l'obscurité la plus profonde, la solidarité et la fureur émancipatrice.
Une scénographie dépouillée
La profondeur du récit est portée par des comédiens souvent très justes (Hugues Duchêne, Karl Eberhard) et une scénographie sobre et dépouillée imaginée par Juliette Desproges. Elle s’articule entre deux univers : la terre sèche et aride qui occupe la moitié de l’espace. Cette terre, à la fois source de travail et annonciatrice de malheur et de catastrophe lorsqu’asséchée, ne parvient plus à nourrir ceux qui la travaillent. L’autre partie du décor, aux allures de station essence réduite à sa plus simple expression, sert d’abri de fortune à la famille Joad tout au long de son périple.
La pièce est suffisamment détachée de son époque pour autoriser toutes les divagations. Elle fait de l'errance et de la migration des sujets universels et résonne avec l'actualité. Quand les uns traversent le désert d'Arizona au péril de leur vie, laissant des cadavres dans les fosses communes, les autres 80 ans plus tard traversent la Méditerranée dans le dénuement le plus total, contraints d'abandonner les plus faibles au fond de l'eau. Tous portés par le même idéal de dignité et de lendemains meilleurs.
Salle comble
Lors de sa sortie en 1939, le roman Les raisins de la colère provoque immédiatement un scandale tant il déshumanise une partie de la population américaine. Il connaît un succès retentissant. Adapté au cinéma l'année suivante par John Ford, le roman obtient en 1946 le Prix Pullitzer et son auteur le prix Nobel de littérature en 1962.
La pièce présentée par la compagnie Demain dès l'aube a elle aussi rencontré son public. Elle a fait salle comble lors des premières représentations en décembre 2023 et janvier 2024 au Théâtre du Léman de Thonon-les-bains et au Théâtre de Vénisseux.
"Les raisins de la colère" de John Steinbeck, mis en scène par Hugo Roux
Le 25 janvier à 14h et 20h - Théâtre des Collines d'Annecy
Les 22 février à 20h et 23 février à 14h Phénix Scène Nationale de Valenciennes
Du 2 au 21 juillet 2024, Théâtre 11 - festival d'Avignon
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