Le Théâtre du peuple, utopie au coœur des Vosges, a 120 ans
A l'intérieur, le plafond évoque la coque renversée d'un navire, tandis qu'au fond quatre larges battants permettent d'ouvrir la scène sur la forêt environnante, partie prenante du décor. Le Théâtre du Peuple a 120 ans et garde les marques de l'utopie qui l'a fait naître. "C'est un endroit hors du commun, un peu hors du temps", estime Jean-Michel Flagothier, l'administrateur. Mais à part le bâtiment, "rien n'est figé à Bussang, c'est une utopie qui vit", avec 25 à 30.000 spectateurs chaque été, assure-t-il.
Reportage : S. Lafuente / A. Jacques / R. Mathis
Amateurs et professionnels
En créant le Théâtre du Peuple, Maurice Pottecher (1867-1960) "a semé deux petites graines, qui vont croître et embellir jusqu'à aujourd'hui : le mélange des pratiques amateurs et professionnelles, et ce qui va devenir la décentralisation à la française" sous l'impulsion des Jacques Copeau, Jean Vilar ou André Malraux, explique Jean-Michel Flagothier.Même si elle compte des habitués, l'équipe d'acteurs se renouvelle tous les ans. Elle comprend deux tiers d'amateurs, sélectionnés en début d'année, qui répètent tous les week-ends à Bussang à partir de mai, avant une immersion totale en juillet-août pour les représentations, qui ont débuté samedi avec "L'Opéra de Quat'sous" de Brecht.
"Je ne propose pas à n'importe quel acteur de venir ici, parce que tous ne sont pas 'Bussang-compatibles': c'est une vie en collectivité, assez ascétique, où l'on vit dans des gîtes à 3 ou 4 par chambre, où l'on mange tous ensemble", explique le directeur et metteur en scène Vincent Goethals.
"Les acteurs pro sont parfois très nombrilistes. Bussang, ça les réinterroge" sur leur métier, car "il leur faut accepter de se confronter aux amateurs, faire preuve de patience et de pédagogie, redécouvrir la spontanéité de certains amateurs, que parfois ils n'ont plus eux-mêmes" ajoute Vincent Goethals. "Les amateurs sont avides de conseils, ils veulent repartir avec des techniques de travail, pour nous c'est très intéressant de partager ça. Au bout d'un moment les frontières s'effaçent, on est tous amateurs", analyse Marc Schapira, acteur professionnel qui joue cet été pour la troisième fois à Bussang.
"Un vrai tremplin"
"Le milieu pro m'apparaît comme un monde toujours à la recherche de reconnaissance, assez angoissé (...). Mais ici leur groupe est assez sympa, très accessible", se réjouit Michel Casado, un gynécologue-obstétricien de Poitiers à la retraite, novice à Bussang mais comédien amateur depuis près de 20 ans.Cécile Laforest, 26 ans, qui vit à Paris, rêve de devenir comédienne professionnelle. Pour elle, jouer à Bussang "est un vrai tremplin, une occasion d'élargir son réseau, de faire des rencontres". "C'est le meilleur stage qu'on puisse espérer", ajoute la jeune femme, ravie d'avoir pu beaucoup travailler sur le chant lyrique pour l'Opéra de Quat'sous, où elle incarne tour à tour une prostituée, un mendiant et divers figurants.
Un public spécial pour un théâtre spécial ?
Au Théâtre du Peuple, le public aussi est mixte, comme à ses débuts où l'ouvrier et le bourgeois s'asseyaient côte à côte sur les mêmes bancs en bois inconfortables. Il y a des gens du cru, qui viennent "indéfectiblement" parce que leurs grands-parents ou arrières-grands-parents ont joué ou participé à la construction du théâtre, mais aussi des touristes et des "théâtreux" de toute la France venus trouver "une ambiance qui n'existe nulle par ailleurs" selon Vincent Goethals."Nos spectateurs sont quand même plutôt profs de français, plutôt cadres et plutôt dans la cinquantaine, ils sont dans le moule du spectateur moyen fréquentant les centres dramatiques nationaux", précise toutefois l'administrateur Jean-Michel Flagothier. Mais pour Vincent Goethals, "Ce qui rend humble, c'est qu'une bonne partie des gens s'en fiche de savoir de qui est le texte, qui est le metteur en scène. Ce qu'ils veulent voir, c'est les portes qui s'ouvrent" sur la nature.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.