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Le gai Molière de Francis Perrin après le gay Molière de Jean-Marie Besset

Quoi de neuf ? Molière ! Celui de Francis Perrin, « Molière malgré moi » qu’on pourrait rebaptiser « Molière grâce à lui ». Celui de Jean-Marie Besset dont le « Banquet d’Auteuil » nous propose un « autre » Molière. Vraiment autre. Jusqu’à la perplexité.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Francis Perrin dans "Molière malgré moi"
 (DR)

Le 24 octobre 1658 les comédiens de Molière jouent devant le roi le « Nicomède » de Corneille. A la fin le roi applaudit du bout de ses gants ivoire. On appelle cela un « succès d’estime ». Molière, qui comptait sur une reconnaissance, est effondré. Madeleine Béjart lui souffle de jouer au roi « une de tes farces qui ont déjà tant fait rire plutôt que la tragédie pour laquelle tu n’es pas fait » Et là, Louis XIV, âgé de 20 ans, s’esclaffe tout du long. C’est le début de la gloire parisienne et de la protection royale. Molière a déjà 36 ans, il est directeur de troupe depuis 15 ans, il lui en reste autant à vivre.

Perrin nous transmet la passion d'un homme et l'amour qu'il a pour lui

Ainsi commence le spectacle de Francis Perrin. Perrin habillé en Scapin, tunique blanche et pantalon rouge. Quelques accessoires, un grand fauteuil, une robe de chambre, lui permettront de devenir Argan ou monsieur Jourdain. «Molière malgré moi » parce que, de Dandin en Alceste, de Scapin en Sganarelle, Perrin a respiré Molière, rêvé Molière, joui du verbe et de l’ombre de Molière. Il nous le conte, il le vit, il le vibre, il nous transmet la passion d’un homme et l’amour qu’il a pour lui. 
Perrin a respiré Molière, rêvé Molière...
 (DR)

C’est très joliment écrit (le texte est de Perrin lui-même), rire, tendresse et mélancolie justement dosés. On découvre ou redécouvre un Molière merveilleux comédien comique et qui aurait espéré triompher en tragédien (Perrin pense-t-il aussi à quelqu’un d’autre?), un Molière pour qui la protection du roi, jamais démentie, ne pouvait pas tout. Devant « Don Juan » et surtout « Tartuffe », l’Eglise se déchaîne, la censure fait son œuvre, un curé parisien menace Molière du bûcher.

Ainsi peut-on (grâce à Perrin) diviser en deux ces quinze années rythmées par les chefs-d’œuvre. Les pièces plus amères (comédies morales), « L’école des femmes », « Tartuffe », « Don Juan », « Le misanthrope » : gros succès mais critiques virulentes ou censure. Les pièces plus bouffonnes ou comédies sociales, « L’avare », « Le bourgeois gentilhomme, « Les fourberies de Scapin », « Les femmes savantes », « Le malade imaginaire » : autorisées. Sauf que « L’avare » ou « Les fourberies de Scapin » furent des échecs publics. 

Le Molière de Besset tombe amoureux de sa propre jeunesse  

En 1670 Molière, malade, séparé d’Armande Béjart, se réfugie dans sa maison de campagne d’Auteuil. Il a une autre raison : le jeune Michel Baron, acteur de 17 ans dont il est amoureux. Ainsi commence la pièce de Jean-Marie Besset. Molière et son ami Chapelle reçoivent pour banqueter quelques amis. Il y a Lully parmi eux, qui est accompagné d’un jeune danseur turc. Ca crie, ça piaille, ça glousse, ça dit des méchancetés, Molière finit par aller se coucher. Le banquet tourne de plus en plus à l’orgie, avec concours de « Qui a les plus belles fesses ?» où triomphe Baron! C’est façon « Jugement de Pâris », allez voir le tableau de Rubens, vous comprendrez. Le grand ordonnateur de la soirée étant… le fantôme de Cyrano de Bergerac, habillé et maquillé très « Cage aux folles » et qui aurait été l’amant de quelques-uns de ces messieurs! On peine, malgré quelques belles formules, un don toujours brillant pour la repartie, quelques scènes émouvantes où Molière semble, en Baron, tomber amoureux de sa propre jeunesse, à reconnaître dans ce « Banquet d’Auteuil » le Besset dont les pièces précédentes l’ont établi comme un de nos meilleurs dramaturges…

Cette amitié amoureuse pour Baron, Perrin y fait allusion, en la mettant (comme Molière l’avait fait, semble-t-il), sur le compte de la calomnie. On ne jouera pas les pères Pudibond (cette histoire, vraie ou non, n’enlève pas une virgule au génie de Molière) mais on a plus envie d’écouter Perrin dans cette affaire. L’itinéraire de Molière nous y conduit, et aussi ses pièces ultimes. Pour Baron, Molière a écrit le rôle de Cupidon dans « Psyché ». Psyché étant Armande Béjart. Il parait même (nous dit cette fois Perrin) que Baron et Armande ont eu une liaison ! Ensuite Scapin, Chrysale, Argan : que des rôles où Molière triomphe et des rôles secondaires, amoureux ou fils, pour les jeunes gens. Le récit par Perrin de la dernière journée de Molière, le 17 février 1673, de sa mort, des paroles rapportées (« Mais, désormais, qui va nous faire rire ? ») est émouvant. Et il trouve, pour ne pas rester sur cette note tragique si peu « Molière », une bien jolie pirouette finale. 
  (DR)

« Sur son lit de mort, disait un témoin, son visage était tragique, comme si Molière était tourmenté d’être parti si loin de nous ». Si loin ? Mais non : caché dans l’ombre, où tous les comédiens sentent sa présence et où nous-mêmes, sans toujours le savoir, continuons de dialoguer avec lui. Pour « parler français » (nous rappelle Perrin), dit-on « s’exprimer dans la langue de Racine – ou de Boileau »?  Pas du tout. On dit « parler dans la langue de Molière ».

« Molière malgré moi » de et par Francis Perrin au théâtre de la Gaîté-Montparnasse
19 heures du mardi au samedi
26 rue de la Gaité, Paris XIVe
Réservation : 01 43 22 16 18

« Le banquet d’Auteuil » de Jean-Marie Besset, en tournée 



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