"La vie secrète des vieux" au Théâtre des Abbesses : du sexe, du sexe et de l’amour dans un Ehpad

Mohamed El Khatib lève un tabou, un impensé social, dans une pièce de théâtre d’une intelligence et d’une finesse rares. "La vie secrète des vieux", ou quand les ainés prennent la parole, disent leur sexualité avec un humour ravageur et une sincérité bouleversante.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3min
"La vie secrète des vieux" de Mohamed El Khatib (YOHANNE LAMOULERE TENDANCE FLOUE)

Des rires et des larmes, des éclats de rire et des yeux discrètement essuyés, des sourires complices, figés de temps à autre par des respirations coupées, et une rare communion entre les comédiens et le public, la dernière pièce de Mohamed El Khatib, La vie secrète des vieux, est un cadeau d’une folle générosité. Sur scène, huit acteurs, âgés de 75 à 92 ans, à l’exception de la jeune aide-soignante de 35 ans. Avant tout, avertissement important : "Compte tenu de leur âge, les personnes présentes dans ce spectacle sont susceptibles, telles  Dalida, de mourir sur scène d’un instant à l’autre. Aussi, en cas d’incident, nous vous invitons à rester calme et à considérer qu’il vaut mieux mourir sur scène qu’à l’Ehpad". Car nous sommes dans un Ehpad, et, loin de leurs enfants, les vieux sont libres. Libres de parler sans filtre, ni tabous.

"J'ai envie de faire l'amour tous les jours ?" 


Sur le plateau au décor épuré presque nu, entre Jacqueline Juin, 92 ans, en fauteuil roulant. Ancienne présentatrice à la télévision belge RTBF, elle dit au public qu’elle a été choisie pour ouvrir le spectacle parce qu’elle "articule bien". "J’ai 92 ans et j’ai envie de faire l’amour tous les jours", révèle-t-elle, avec une diction parfaite. Jacqueline confie sans "trémolo, ni tralala" que ce qui lui manque le plus "c’est de ne plus embrasser quelqu’un sur la bouche". Sali,  la "seule Noire" de son Ehpad, avoue avoir menti à sa fille qui lui a demandé : "maman est-ce que tu niques encore ?". "Je ne sais pas pourquoi, je lui ai répondu que non, qu’il ne se passait plus rien". Et de s’esclaffer : "Quand elle verra le spectacle, elle va découvrir que sa mère nique encore ! En plus avec un Mexicain… très caliente ! ». Une confidence qui déclenche l’hilarité du public du théâtre des Abbesses. 


Mohamed El Khatib, auteur de théâtre documentaire, d’un théâtre en prise avec le réel, lève ici un tabou, un impensé social. La sexualité des vieux est un angle mort. "Au mieux, il y a un déni, au pire, on ne veut pas en entendre parler parce qu'on trouve ça sale ou parce qu'on se dit : ils ont passé leur temps, il faut qu'ils passent à autre chose", avait-il confié à Franceinfo. Le metteur sur scène, parce que présent sur le plateau, explore aussi la relation parents/enfants, en évoquant un cas dramatique d’un amour rendu impossible. Une sorte de Roméo et Juliette, les enfants jouant les mauvais les rôles. 

La vie secrète des vieux est une pièce de théâtre jubilatoire, puissamment émancipatrice avec une parole libérée. Elle réconcilie et rapproche toutes les générations.  Après son succès à Avignon, la pièce a reçu accueil triomphal pour sa première représentation au théâtre des Abbesses à Paris. Le public a réservé une longue standing-ovation aux comédiens et à l’auteur.  Les personnages continuent de vivre en nous bien après la représentation. Bouleversant. 

Au Théâtre des Abbesses jusqu'au 26 Septembre 2024

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