"La Passation" : l'histoire très actuelle de deux présidents au pouvoir
Et, disons-le d’emblée, une grande partie du plaisir que nous prenons à cette "Passation" vient des comédiens, remarquables. Non pourtant que le texte de Christophe Mory ne démérite, même si l’on en a connu de plus inoubliables. Son défaut est sans doute de ne pas choisir entre bons mots et petites vacheries d’un côté, analyse assez fine des mécanismes de la présidence de l’autre, tels, en tout cas, que l’"ancien" essaie de les faire comprendre au "nouveau". Mais (dirait sans doute Mory) c’est peut-être justement là que l’illusion est grande : s’imaginer qu’il se dit entre ces deux-là, dans ces courts moments-là, des choses capitales alors que cela ressemble encore au choc frontal de deux ambitions.
Au départ le président sortant (Pierre Santini, superbe d’autorité bonhomme) est au téléphone avec un de ses amis, dans un décor très "Mobilier National" où le design années 80 côtoie des bergères Louis XV et un coffre à whisky. Il attend son successeur, dont il dit déjà pis que pendre. Celui-ci arrive, arrogant, les deux hommes se connaissent, l’un pour avoir été le chef de l’opposition de l’autre.
Deux conceptions de la manière de présider
Commence alors à fleurets mouchetés un échange où, au milieu des piques et des pointes, finissent par se dessiner, et c’est en cela que "La Passation" échappe au banal théâtre de boulevard, deux conceptions de la manière de présider. Le nouveau (Eric Laugérias, tendu, cassant, avec un soupçon de fragilité derrière l’arrogance qui traduit très bien l’état d’esprit probable du bizuth face au vieux routier repu par cinq ans de décisions imposées et de conflits) n’a guère qu’une obsession : le code nucléaire. On verra, c’est assez drôle, ce qu’il advient de cet épisode. L’ancien, lui, paraît obsédé par l’explication des téléphones : "Etoile 1, Matignon, 2 Bercy, 3 Beauvau, 4 le Quai d’Orsay. Ah ! j’oubliais : là, tous les préfets, dièse 1 comme l’Ain, 2 comme l’Aisne, 49 comme… comme quoi ? Angers. Faudra apprendre…" Et aussi les lignes directes avec Washington, Berlin, Moscou, Pékin, Bruxelles. L’autre, écoutant d’une oreille distraite, demande comment on joint les partenaires sociaux. Ce qui fait rire…Une présidence "gaullienne" d’un côté, où l’hôte de l’Elysée laisse la direction des affaires intérieures au gouvernement et arpente la planète ou "fait la guerre : ah ! ça, c’est un pied énorme. Personne n’ose vous contester, l’opinion publique vous soutient au nom de la grandeur de la France, et le Parlement est aux ordres". De l’autre une présidence "normale" où la gestion du monde est secondaire par rapport aux urgences, à ses urgences : l’emploi, la vie quotidienne du peuple. On devine bien, dans la non-réélection de l’un, l’impatience utopique de l’autre, que la réalité fracasse, quels qu’ils soient, les beaux rêves. On ne sait d’ailleurs au final pas trop pourquoi, c’est la limite de cette "Passation".
Limite qui consiste surtout, en-dehors de quelques répliques qui caressent le spectateur dans le sens populiste du poil ("Le chômage ? Cela fait quarante ans que l’Education Nationale fabrique des crétins, comment voulez-vous après qu’ils trouvent du travail ?"), à montrer, ce qui n’est pas réjouissant mais qui est aussi de la responsabilité de l’auteur, l’impuissance de celui qui est pourtant à la tête de notre monarchie républicaine. Comme si le pays était à l’image de ce vieux palais élyséen où il n’est pas question de modifier un bouton de guêtre, de cette organisation étatique, "162 ambassades, 98 consulats, 100 préfectures, 238 sous-préfectures donc 600 cuisiniers au service de la république, vous imaginez le nombre de chômeurs si vous supprimez tout ça ?" et de cette alternance que nous vivons depuis trente ans et que résument les deux hommes : "Ton camp a toujours su dépenser - Oui, et le tien a toujours su s’enrichir".
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