Jean-Pierre Vincent livre un "Godot" fait de silences et de rires
Deux "types mal en point", revêtus de costumes ayant naguère eu de l'allure, avec pochette et chapeau melon, trainent leurs maux et vieux atours, tournant en rond, au pied d'un arbre effeuillé au milieu d'une route ensablée.
Retour à la mise en scène de Beckett lui-même
Estragon (Abbes Zahmani) tente à plusieurs reprises de partir. Mais où aller? "On ne peut pas, on attend Godot", réplique son compagnon d'infortune, Vladimir (Charlie Nelson) cherchant des moyens de tuer le temps. Ces hommes sont "égarés dans le monde" et occupent un "temps vide", résume Jean-Pierre Vincent, qui, après 50 ans de théâtre et quelque 90 mises en scène, s'attaque pour la première fois à un texte de Samuel Beckett.
"Pendant longtemps je me suis ennuyé poliment à la lecture et en voyant les pièces de Godot, me demandant quelle était sa mise en scène à lui (Beckett)... Or c'était la plus comique", raconte Jean-Pierre Vincent qui a choisi de s'en tenir strictement aux indications de mise en scène de Samuel Beckett, avec des silences longs et nombreux, mais remplis de gestuels, de mimiques des deux protagonistes, qui font rire les spectateurs aux éclats.
Une pièce triste et comique à la fois
"C'est une pièce très sombre, et pleine de lumière, immobile mais pleine d'actions, une pièce épouvantablement triste mais qui atteint des sommets de drôleries burlesques, c'est à pleurer mais l'on ne fait que rire... on peut pleurer en rentrant à la maison", résume Jean-Pierre Vincent. Pour lui "c'est une pièce très inspirée de Buster Keaton, de Charlie Chaplin, de Laurel et Hardy. De fait Estragon, petit homme à la démarche chaloupée, et Vladimir, grand et fort, en sont bien les frères jumeaux".
Il y a aussi "un comique verbal, des gags verbaux, des dialogues absurdes car il ne se souviennent plus de ce qu'ils ont dit 5 minutes avant, ils le redisent et le redisent différemment", témoigne le metteur en scène.
Jean-Pierre Vincent : "En attendant Godot n'est pas absurde, au contraire, est très logique"
La pièce, écrite en 1948 après Hiroshima et la découverte des camps de concentration est prémonitoire pour Jean-Pierre Vincent. "Nous allions rentrer dans l'ère du vide, dans ce que nous vivons aujourd'hui... un fourmillement planétaire où chacun se sent dans le vide... un temps qui s'accélère n'existe plus. La sensation du temps devient flottante", juge-t-il.
Pour le metteur en scène "il y a un avant et un après Godot. C'est une sorte de lessivage radical de tout ce qui a été avant". "Cette pièce est une provocation. C'est une sorte de provocation destructrice de toute la littérature qui vient avant." En revanche "l'aspect absurde" par lequel la critique littéraire le caractérise "est complètement idiot", juge Jean-Pierre Vincent. "Ça a semblé en 1950 absurde parce que ça ne charriait pas le sens, la signification comme chez Sartre ou Camus. Les gens n'avaient pas de repère pour lire ça." A l'inverse, "c'est une pièce extraordinairement logique". Et "c'est une pièce de textes bourrée de silence, c'était très important pour Beckett mais les metteurs en scène ne le respecte pas. Il y a 70 fois le mot silence" dans les indications, précise-t-il. Et "le plus beau compliment" que l'on pourra lui faire c'est que "ceux qui l'on vue souvent me disent à la fin eh bien dis donc, je ne l'avais pas vue".
"En attendant Godot" au Théâtre du Gymnase à Marseille
Jusqu'au 21 avril
Puis, tournée en province et quelques représentations en décembre 2015, au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris.
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