Festival d’Avignon : Pascal Rambert, auteur de la pièce "Architecture", défend un théâtre éminemment politique
Cet habitué d'Avignon suscite souvent la controverse avec ses pièces engagées. Rencontre avec Pascal Rambert, auteur et metteur en scène de la pièce qui a ouvert le Festival d’Avignon, "Architecture".
La pièce Architecture a fait l’ouverture du Festival d’Avignon, le 4 juillet : une pièce très politique de Pascal Rambert, qui évoque une famille d’intellectuels viennois aux heures sombres du début du XXe siècle. Elle a réuni, sur le plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes, une cohorte d’acteurs de premier plan : Denis Podalydès, Jacques Weber, Emmanuelle Béart, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Poitrenau et Audrey Bonnet.
Nous avons retrouvé Pascal Rambert le lendemain, dans le magnifique cadre du Cloïtre Saint-Louis d’Avignon, peu après la traditionnelle - et très courte - conférence de presse quotidienne, ouverte à tous.
Franceinfo Culture : La pièce parle d’une famille d’intellectuels, à Vienne entre 1910 et 1938, confrontée au fascisme. Quel en est le véritable sujet : la déliquescence des valeurs humanistes, la transformation d’un discours intellectuel ?
Pascal Rambert : La pièce est une espèce de vanité, c’est un "memento mori" (expression rappelant l’inéluctabilité de la mort, NDLR)… C’est-à-dire qu’on y voit des gens qui ont pensé que ça durerait toute la vie comme ça, que ça serait éternel… Or ce ne l’est pas, c’est le contraire : c’était des gens qui avaient une capacité à influencer le réel et ils n’ont pas réussi, ils se sont collés aux murs de la réalité. C’est ça qui m’a bouleversé. C’est pour ça que je me suis intéressé par exemple aux biographies de Paul Celan, de Walter Benjamin, de Stefan Zweig et de bien d’autres. C’est la vie de gens qui vivent le lundi dans une maison extraordinaire avec douze chambres et des serviteurs et puis le mardi ils sont attachés à un pieu et on leur tire une balle dans la tête. C’est ça l’histoire !
Et moi je redoute ça, je ne pense pas que ça va se passer aujourd’hui, mais la pièce n’est pas seulement métaphorique, je pense que les inquiétudes sont réelles. On est dans un moment de rupture, de bascule, et même si le Festival d’Avignon est un festival extrêmement populaire, j’ai l’impression que c’est un carré. Parce qu'il y a tous ceux qui sont autour, qui n’y viennent pas et qui détestent justement ce que vient de dire Olivier Py ce matin, ce que je suis en train de dire…
Olivier Py, le directeur du Festival d’Avignon, a rappelé lors de la conférence de presse quotidienne, la mission de théâtre populaire que défend le festival…
Oui. J’ai parlé du Front national : il faut savoir qu’il est au Pontet, qui jouxte Avignon ! Donc on est dans un réel rapport de combat. Alors, moi je combats à mon endroit, c’est-à-dire avec les armes qui sont les miennes, la pensée, l’art contemporain, le théâtre contemporain, voilà !
Vous faites cohabiter dans votre pièce deux oppressions différentes : l’une, très préoccupante, celle du fascisme, et l’autre, l’oppression d’un vieux patriarche (qui professe pourtant des valeurs humanistes) sur sa famille parce qu’il ne se sent plus respecté…
Oui… C’est ça qui est toujours paradoxal chez les êtres humains. On peut avoir des êtres humains qui défendent des valeurs tout à fait humanistes à l’extérieur et qui se comportent comme des monstres et des dictateurs familiaux. J’adore ça ! Toutes mes pièces, c’est le hiatus entre ce qui se dit et ce qui se fait. Personnellement j’essaie de vivre ma vie en conformité, que les actes que je fais soient en conformité avec mes paroles. Et je crois que j’y arrive, il n’y a pas beaucoup de différence entre mes actes et mes paroles. Pour moi, c’est une façon très importante de vivre sa vie. Je déteste les gens qui disent une chose et qui se comportent différemment.
Un des sujets de cette pièce est la fabrication du langage. Comment avez-vous travaillé votre langue ?
Je ne la travaille pas parce que c’est ma langue ! Elle sort comme ça. Et puis, une fois de plus, moi j’écris pour les acteurs. Tout ce que vous avez entendu a été écrit pour ces acteurs-là. Et donc c’est essentiellement dirigé vers ces acteurs-là. Donc la langue, elle est tenue par le corps des acteurs, c’est ça mon travail. S’il n’y avait pas ces acteurs-là, il n’y aurait pas Architecture. Je n’écris que pour les acteurs, ma langue c’est la mienne, elle n’a pas changé depuis quarante ans que j’écris. Après, on fait des phrases plus courtes, plus longues, on travaille sa phrase, mais fondamentalement, ma langue c’est ma langue depuis le début.
Architecture, c’est une performance d’acteurs pour tous ces comédiens que vous avez réunis. Comment en tant que metteur en scène vous vous êtes impliqué dans cette performance ?
Moi je crée un dispositif, qui est un dispositif d’espace où je fais en sorte de rendre les gens, à l’intérieur de ça, extrêmement libres. Les acteurs ne sont pas là en train d’être serrés par un metteur en scène qui leur dit fais ceci fais cela, jamais. Je ne suis pas justement de ceux qui rudoient : je ne peux pas faire des pièces comme ça et être moi-même un tyran, vous voyez, ça ne marche pas.
Comment joue-t-on avec l’espace de la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon ?
On ne fait pas le malin… Il faut regarder comment est l’espace, il ne faut pas essayer de le transformer, de mettre des décors, tout ça… C’est pour ça que toutes mes pièces sont toujours des espaces blancs très purs, je ne fais rien d’autre.
"Architecture" de Pascal Rambert
Jusqu'au 13 juillet 2019 (relâche le 7)
Cour d'honneur du Palais des papes
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