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Conflit dans le Haut-Karabakh : des artistes d'origine arménienne manifestent leur soutien à l'Artsakh

Robert Guédiguian, Simon Abkarian, André Manoukian côté français, mais aussi, hors de nos frontières, Kim Kardashian et le footballeur international Henrikh Mkhitaryan s'engagent pour les populations arméniennes civiles et pour la reconnaissance de l'Artsakh.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
De gauche à droite, Robert Guédiguian le 5 septembre 2019 à Venise ; Simon Abkarian le 16 mai 2019 à Cannes ; André Manoukian le 20 octobre 2017 à Paris (Laurent Vu / SIPA -- Bertrand Noël / SIPA -- Éric Fougères / Corbis / GETTY IMAGES)

Le 27 septembre dernier, l'Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, a lancé une offensive militaire contre la province indépendantiste du Haut-Karabakh, que ses habitants, ainsi qu'Erevan, ont rebaptisée Artsakh, un nom très ancien remontant au Royaume d'Arménie. Depuis, la guerre fait rage, la trêve négociée le 10 octobre est sans cesse rompue et les morts se chiffrent par centaines dans chaque camp, les populations civiles n'étant pas épargnées.

Erevan, les dirigeants de l'Artsakh et de nombreuses voix de la diaspora appellent la communauté internationale à intervenir afin d'éviter un embrasement et des carnages qui rappelleraient de sinistres souvenirs aux Arméniens. La province, rattachée à l'Azerbaïdjan par Staline en 1921, a proclamé son indépendance en 1991. Après une première guerre qui a fait 30 000 morts dans les années 90, de nombreuses personnalités d'origine arménienne s'élèvent en France pour appeler Paris à reconnaître l'Artsakh, un geste fort qui donnerait un signal international. C'est le but d'un rassemblement organisé par la communauté arménienne mardi 13 octobre en fin d'après-midi à Paris, devant l'Assemblée nationale.

Le spectre du génocide de 1915 hante les esprits

Le 5 octobre, André Manoukian, pianiste et homme de télévision, a posté via les réseaux sociaux une lettre adressée directement à l'homme fort d'Ankara, Recep Erdoğan, allié revendiqué de Bakou dans le conflit, et auquel l'artiste français accorde le premier rôle dans cette crise. Un message entre ironie et lassitude, faisant directement référence au génocide des Arméniens de 1915, sous l'empire ottoman, et aux biens, propriétés et terres perdues, en plus des victimes humaines : "Cher Monsieur, Mes grands parents, ayant dû quitter précipitamment Amasya en avril 1915, n’ont pas pu emporter le piano familial. Pourriez-vous s’il vous plaît le faire livrer à l’adresse suivante : Poste restante de Stepanakert, capitale de l’Artsakh, berceau historique de l’Arménie. Il semble que Mr Aliev ait plus de difficultés à se débarrasser d’une poignée d’Arméniens que vos glorieux ancêtres, qui, c’est vrai, n’avaient en face d’eux que des femmes des enfants et des hommes désarmés." Une missive dans laquelle André Manoukian, en "bisounours de gauche", exprime l'espoir de boire "ensemble un bon café turc, grec, arménien, whatever, un bon Sourdj quoi, histoire de fêter ensemble la paix retrouvée entre nos peuples…" Et de conclure : "Vous voulez pas foutre la paix à mon peuple une bonne fois pour toutes ?"



Laissant deviner une colère froide, ancienne, Simon Abkarian, comédien et homme de théâtre, s'est exprimé dans un message fort, empreint de lyrisme, publié sur le site ScèneWeb. Évoquant dans un premier temps son projet de lancer un festival de théâtre international à Erevan, le dramaturge aux multiples Molière a évoqué longuement Recep Erdoğan et le réflexe "génocidaire" d'une classe politique turque dont "le patriotisme s'est mué en nationalisme fascisant". Les desseins du dirigeant turc ne lui laissent guère d'illusions : "Bien sûr, Erdoğan dément être l’instigateur de cette guerre. Le déni est une arme majeure dans l’histoire de la diplomatie turque. Mais l’homme fort d’Ankara fait plus fort que ses prédécesseurs, il nie le crime à venir avant même de l’avoir commis. 'La Turquie sera aux cotés de ses frères Azéris'. Ça veut dire : 'On va finir le travail de 1915'."

Invitant implicitement la France à "s'interposer", Simon Abkarian a rejeté le terme de "séparatistes" utilisé régulièrement pour qualifier les habitants de la province en guerre, rappelant une histoire arménienne multiséculaire : "Non, nous ne sommes pas des séparatistes, nous sommes nos fleuves, nos rivières, nos plaines, nos forêts et nos montagnes et voulons vivre en paix. Et vous, amis de l’Occident, ouvrez vos livres et remontez le cours de la grande histoire ; depuis l’Antiquité, Arménie est sur toutes les cartes et dans de nombreux récits. L’Azerbaïdjan s’y est glissé de force en 1918, même la boisson Coca-cola est plus vieille que lui."

Le réalisateur français Robert Guediguian a appelé le 6 octobre à un boycott, notamment économique, des pays engagés contre les Arméniens d'Artsakh : "Les humains humains doivent empêcher les humains inhumains de sévir.. C’est un impératif catégorique... comment ? En les mettant en quarantaine, en les isolant économiquement, militairement, technologiquement... et aussi en soutenant les oppositions intérieures à ces inhumains... parce qu’ils ne faut pas oublier que les victimes de ces criminels ne sont pas que les Arméniens. Ce sont aussi les Turcs, les Kurdes et les Azéris emprisonnés et même les mercenaires qui n’ont d’autre travail que celui de tuer pour nourrir leur famille... C’est simple et pourtant les démocraties occidentales ne le font pas."

Dans le reste du monde, d'autres voix arméniennes s'élèvent

Hors des frontières françaises, des personnalités arméniennes au rayonnement international ont affiché rapidement leur soutien aux populations civiles d'Artsakh et d'Arménie touchées ou menacées par la guerre. Depuis le début du conflit, le footballeur international arménien Henrikh Mkhitaryan appelle sur les réseaux sociaux à la fin des combats et interpelle des dirigeants comme Emmanuel Macron, Vladimir Poutine et Donald Trump afin qu'ils agissent pour la paix.

Du côté des artistes, le célèbre pianiste Tigran Hamasyan relaye comme son compatriote les nouvelles venues d'Arménie et d'Artsakh. Le 29 septembre, il a désigné sur Facebook "l'Azerbaïdjan soutenu par la Turquie" comme responsable de "l'agression" visant l'Artsakh, déplorant le choix de la "violence" par un pays "endoctriné", avec pour conséquence "la mort de jeunes soldats dans les deux camps". Il invite ses abonnés à participer à une collecte en ligne pour soutenir les familles des soldats arméniens tombés au combat.



Enfin, Kim Kardashian West, femme d'affaires et personnalité médiatique américaine d'origine arménienne aux quelque 220 millions d'abonnés (Instagram et Facebook compris), a posté samedi 11 octobre un message fort dans une vidéo de soutien aux populations arméniennes touchées par la guerre. Elle y annonce un don d'un million de dollars à l'organisation non gouvernementale Armenia Fund basée en Californie, en vue d'une aide humanitaire, appelant ses abonnés à y participer dans la mesure de leurs moyens. "Mes pensées et mes prières vont aux courageux hommes, femmes et enfants. Je veux que tout le monde se souvienne qu'en dépit des distances qui nous séparent, nous ne sommes pas limités par des frontières et nous formons ensemble une Nation arménienne globale."



Logiquement, un engagement aussi fort de la part d'une personnalité connue dans le monde entier dérange. Du côté des artistes azerbaïdjanais menant une carrière internationale, le soutien à Bakou est de mise, comme l'indique le compte Instagram du ténor Yusif Eyvasov, l'époux de la célèbre soprano Anna Netrebko. Ces derniers jours, il a exprimé avec ferveur son amour pour son pays, accusé les Arméniens de bombarder des civils et relayé les hashtags #KardashiansSupportTerrorism et #StopArmenianAgression.

Des artistes internationaux s'expriment, le conflit s'exporte sur les réseaux sociaux

Ces derniers jours, de célèbres artistes non arméniens ont appelé à la fin de la guerre, certains évoquant spontanément leur attachement à l'Arménie. Le 6 octobre, le chanteur de rock Peter Gabriel, qui milite activement pour les Droits de l'homme depuis des décennies, a posté un message exprimant ses liens avec le peuple arménien, évoquant le drame de 1915 et appelant à faire pression sur les instances internationales et les classes politiques de tous pays afin qu'elles s'impliquent dans cette crise : "C'est la magie du duduk, peut-être l'instrument le plus expressif du monde, qui m'a fait connaître l'Arménie", explique la star britannique en préambule avant de s'inquiéter, dans les dernières lignes de son post, de "rapports selon lesquels le président Erdoğan a aligné 80 000 soldats le long de la frontière arménienne", une "perspective terrifiante, emplie des sombres échos de l'histoire".



Sa publication a été prise d'assaut par une multitude de comptes pro-azéris et pro-turcs, une pratique courante sur les réseaux sociaux de la part de ces pays tenus par des régimes autoritaires et où un nationalisme exacerbé s'est développé. Mais le chanteur de Sledgehammer, habitué aux réactions virulentes à certaines de ses prises de position, n'a pas bronché.

Ce n'est pas le cas d'autres stars, moins aguerries quand il s'agit de faire face à ce type de flux. Le 5 octobre, Elton John a publié sur Instagram un post très favorable aux Arméniens (relayé en France sur Twitter) accompagné d'un carré rouge symbole de son soutien. Il l'a complété d'un message désignant l'Azerbaïdjan et la Turquie comme responsables du déclenchement des combats et du hashtag #PeaceForArmenians. Quelques heures plus tard, le chanteur anglais a fait marche arrière. Il a transformé son post en message de paix neutre, sans favoriser aucun camp, et le logo "Peace and Love" a remplacé le carré rouge...


Quant à la rappeuse américaine Cardi B, elle s'est excusée à plusieurs reprises, sur Twitter, pour avoir relayé sur les réseaux un appel de fonds de l'organisation Armenia Fund en faveur des populations touchées par la guerre. Accusée de "soutenir le terrorisme" par des comptes pro-Azerbaïdjan sur Twitter, la jeune femme a expliqué qu'elle n'avait "pas fait de recherches" avant de partager le post d'un ami sur Instagram (post supprimé depuis) : "Ferme ta g... Je ne soutiens pas le terrorisme (...) Je suis désolée (...) Je n'aime pas les conflits entre deux pays, point, parce que je déteste voir des innocents affectés", répondait-elle le 6 octobre à une Azerie.


Les 6 et 7 octobre, Carde B a multiplié les tweets d'excuses et d'explications, messages audio à l'appui, suscitant cette fois la colère d'internautes pro-arméniens... "Je ne sais pas quoi croire ! Un camp me dit quelque chose, puis un autre camp me dit autre chose, je ne veux que la paix ! Je ne veux pas que des gens meurent ! Pourquoi continuez-vous de me harceler alors que je me suis excusée un million de fois ? Je ne sais pas !! JE NE SAIS PAS, P... ! Bonne nuit !"

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