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"Comment créer quand on n’a rien ?" : Patrice Kerbrat met en scène avec brio sur internet la pièce "Une jolie robe" d’Andrew Payne

Le metteur en scène nous explique son travail destiné à une diffusion en ligne et en direct : le meilleur substitut à une représentation sur les planches.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Robert Plagnol dans "Un jolie robe" d'Andrew Payne mis en scène par Patrice Kerbrat sur Directautheatre.com. (DIMITRI KLOSOWSKI)

Acteur à la Comédie-Française, au théâtre public et privé, Patrice Kerbrat est passé progressivement à la mise en scène. Il a adapté son art à la représentation donnée en direct sur Zoom de la pièce Une jolie robe d’Andrew Payne, les jeudis, vendredis et samedis soir sur le site Directauthéâtre.com. Il explique son travail sur ce nouveau support, une expérience inédite, comme un substitut à la scène.

Adapter le théâtre à la pandémie

Depuis un an, le comédien Robert Plagnol donne des représentations en direct sur son site Directauthéâtre.com. Après La Femme de ma vie d’Andrew Payne, il adapte, traduit de l’anglais, et interprète sa nouvelle pièce, Une jolie robe. Un nouveau monologue, plein de surprises, où la teneur du texte le dispute à la progression dramatique avec un acteur dont la prestation relève de la performance.

Dans Une jolie robe, Mike vient d’être plaqué par sa femme, partie avec sa fille adolescente, et qui dépensent à tout va. Il nous confie ses affaires immobilières avec un investisseur véreux qui l’a entraîné dans son univers mafieux, jusqu’à la déroute… En temps réel, Robert Plagnol se réveille, se lève, parcours son appartement, bois comme un trou, fait sa toilette, fignole la construction d’une maquette, s’habille… tout en se plaignant de sa situation. Il évoque Freddy, un mafieux impayable, une caricature d’une drôlerie irrésistible, mais dangereux.

Le metteur en scène Patrice Kerbrat nous explique comment sous la pression de la pandémie il a réinventé, avec son comédien, le théâtre grâce aux nouvelles technologies.

L'affiche de "Une jolie robe" d'Andrew Payne, avec Robert Plagnol, mis en scène par Patrice Kerbrat sur Directautheatre.com. (PASCAL LACOSTE)

Franceinfo Culture : Comment êtes-vous passé de la mise en scène pour le théâtre à l’exercice de la mise en images d’une pièce jouée en direct sur ZOOM ?

Patrice Kerbrat : Tout le mérite de cette aventure revient à Robert Plagnol, puisqu’il l’a inventée il y a un an. On a beaucoup travaillé ensemble sur le texte, fait des coupures indispensables, pour l’adapter à une expérience inédite. Ce qui en fait toute sa valeur, puisque personne n’a l’expérience de ça. Ce n’est ni du théâtre, ni du cinéma ni de la télévision. C’est un bricolage artistique qui a à voir avec tout ça. Les décors sont ceux d’un véritable appartement, la lumière est électrique, puisque cela se passe la nuit, avec peu d’effets. Le matériel utilisé est non professionnel - un portable et une tablette. Cette démarche est passionnante. Comment créer quand on n’a rien ?

On a eu la chance d’avoir un appartement familial d’un ami de Plagnol. Ce qui nous a permis de l’utiliser comme un studio. On s’est servi de sa géographie pour construire le spectacle. C’était précieux d’être au calme, pour répéter, pour travailler, pour construire les cadres, disposer les supports à divers endroits. Les cadrages doivent beaucoup à Plagnol, parce que non-seulement il joue, mais en plus il fait le cadre. Ce qui est une performance et ça l’amuse beaucoup. Il est familier avec cette technologie, ce qui n’est pas mon cas. En plus, on a tout préparé à distance. Nos échanges utilisaient le vocabulaire du théâtre et du cinéma. On passait du côté cour-côté jardin, à "là, fais un panoramique, là fait un travelling", ce genre de chose. On a essayé d’inventer une technique appropriée à ce qu’on voulait faire.

Robert Plagnol dans "Une jolie robe" d'Andrew Payne mis en scène par Patrice Kerbrat sur Directautheatre.com. (DIMITRI KLOSOWSKI)

Comment avez-vous travaillé l'espace et le temps réel sur lequel se déroule  la pièce ?

Ce n’était pas dans le texte au départ, ce monologue d’Andrew Payne relevant plus du stand-up. A la lecture, je sentais qu’une mobilité de l’acteur était nécessaire, alors que pour La Femme de ma vie, sur laquelle je n’ai donné qu’un coup de main à Plagnol, la situation était plus statique. Puisque le personnage était dans une position d’attente, même si elle est de plus en tendue. Dans Une jolie robe, il incarne plusieurs personnages, avec toutes les voix, comme un enfant qui joue tous les rôles en jouant ce qu’il invente. En même temps, la pièce rend compte des nécessités de la vie : il se réveille, se lave, s’habille, sans interrompre le fil de sa pensée et des souvenirs qu’il exprime. Pour le personnage de Freddy, je l’ai identifié à Boris Johnson (Premier ministre britannique) et à la grenouille à grande bouche de la fable.

Comment avez-vous abordé le texte d’Andrew Payne ?

Son personnage ment tout le temps en racontant son histoire, il entraîne le spectateur dans tous ses mensonges. On adhérait complètement au texte et on n’aurait pas fait tout ça si on n’y croyait pas. Il y a une vraie progression dramatique et de l’ambigüité. Comme tous les escrocs, il est sympathique, on lui donnerait le bon-Dieu sans confession, il sourit tout le temps, il est léger, il doit l’être pour aboutir à ses fins, et il est le seul à se sortir de la situation dans laquelle il s’est fourré. Il dégage un charme. Pour que l’histoire intéresse, il fallait développer cette sympathie.

Avez-vous eu un retour d’Andrew Payne, notamment sur vos modifications ? 

Oui, il a assisté à la première et il était très content. Il avait peur que son personnage apparaisse comme une victime, alors qu’il se présente comme tel, mais il apparaît bien comme un requin, un bandit de grands chemins. Payne est un homme d’un abord très simple, qui est en fait plus joué ici, en France, que chez lui, en Angleterre. Il est à la base scénariste, surtout pour la télévision (Inspecteur Barnaby), puis il s’est orienté vers l’écriture de pièces. C’est Robert Plagnol qui l’a découvert, puis traduit et interprété sur scène en France. Pour Payne, c’est un cadeau, il est ravi de ça. Il a encore des pièces dans ses cartons qui seraient formidables à monter. Il a un véritable univers, il a déjà une œuvre, avec ses différences et ses continuités, ce qui définit un auteur. J’avais monté Squash, il y a une quinzaine d’année dans le théâtre privé, et ça avait été repris dans le théâtre subventionné, à Aubervilliers, alors que c’est toujours l’inverse qui se produit. Je n’apparais pas souvent dans mes mises en scène, mais une des dernières fois était déjà une pièce d’Andrew Payne, En réunion., au Petit Montparnasse, également avec Robert Plagnol, mais aussi Swann Arlaud qui fait une belle carrière depuis, et Anne Bouvier.

D’où est venu l’idée, assez spectaculaire, de faire construire la maquette du Trafalgar Square en Légo pendant que Mike continue son monologue ?

Ce n’était pas dans le texte, cela m’est venu de son rôle d'entremetteur dans l’immobilier, où il doit faire et refaire, constament entreprendre, renouveler ses approches avec ses interlocuteurs, comme on fait et refait un puzzle, ou ici une maquette en briquettes.

Robert Plagnol dans "Une jolie robe" d'Andrew Payne mis en scène par Patrice Kerbrat sur Directautheatre.com. (DIMITRI KLOSOWSKI)

Quelle a été votre collaboration avec Robert Plagnol, son éclairagiste et son ingénieur du son ?

On a bricolé en partant de ce qui existe, l’appartement, les lumières artificielles, on a travaillé avec mon éclairagiste habituel Laurent Béal. Sinon, il n’y a pas d’ingénieur du son, il est capté par la tablette, avec un micro un peu plus sophistiqué. C’est fait comme à la maison, n’importe qui peut faire ça.

Pensez-vous amener la pièce sur scène une fois les théâtres rouverts ?

Je ne fais aucun projet. J’ai jeté l’éponge et ne veux plus faire de mise en scène au théâtre. Je ne sais pas ce qui va se passer, et ne me lance donc dans aucun projet d’aucune sorte, avec cette pandémie. La réouverture va être compliquée, à tiers de jauge, dit-on, ce qui économiquement est impossible à tenir. C’est déjà difficile à jauge pleine, mais dans ces conditions… Je parle du théâtre privé, c’est plus facile pour le subventionné. J’ai aujourd’hui 72 ans, il y a un moment où un metteur en scène s’épuise. Je pense qu’il est temps pour moi d’arrêter, et cela tombe bizarrement dans ce contexte. On peut y voir un signe, ce qui me conforte dans ma décision. Mais ça ne m’empêche pas de donner des coups de mains à des amis et de prêter la main à des aventures novatrices comme celle-ci.

Mais si ça se faisait sur scène, cela serait une tout autre mise en scène. Ce que nous avons fait est vraiment spécifique à ce support. Le travail sur le personnage resterait, mais il faudrait repenser complètement l’approche, la conception de la pièce. Si on l’avait fait pour le cinéma ou la télévision, cela serait complètement différent. Là, c’est un plan séquence d’une heure et quart, avec des moyens techniques minimalistes. On revient à une forme d’artisanat très basique, même si la technologie est sophistiquée, mais commune à tout un chacun : un téléphone portable et une tablette. Par contre, sans le talent de Robert Plagnol, qui joue, se filme, construit une maquette, se rase, prend un bain, tout en disant merveilleusement son texte, ça c’est très complexe et relève de la performance. Ces choses-là disparaîtraient sur scène, remplacées par autre chose.

Une jolie robe
D'Andrew Payne
Mise en scène :  Patrice Kerbrat
Avec : Robert Plagnol
Directautheatre.com

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