Au Lucernaire un joli voyage avec Monsieur de Molière et Boulgakov son adorateur
Il ne s'agit pas de n'importe quel Molière. Le Molière de Boulgakov. Mikhaïl Boulgakov, l’admirable auteur du « Maître et Marguerite », ce chef-d’œuvre bouffon et tragique qu’il acheva l’année de sa mort, en 1940, de simple maladie, même s’il n’était pas très bien vu de Staline (quel écrivain était bien vu de Staline ?) Boulgakov, employé de théâtre obscur (au Bolchoï), dramaturge aussi, et qui écrit avec « Le roman de monsieur de Molière » le plus bel hommage non théâtral au théâtre qu’on peut imaginer.
Le principe en est tout bête, mais si efficace : de la vie aventureuse et romanesque de Molière, Boulgakov est le témoin. S’adressant directement dès les premières lignes à l’accoucheuse (« Comprenez bien que dans trois siècles, dans un pays lointain, je ne me souviendrai de vous que parce que vous aurez tenu dans vos mains le fils de monsieur Poquelin »), s’adressant ensuite à nous, s’adressant à tous ceux de l’époque de Molière, comme s’il était en permanence derrière eux, la plume d’oie à la main, à observer Molière qui grandit, mûrit, vieillit, génie, et la vie qui grouille autour de lui, qui grouille en lui et qu’il déverse dans ses pièces, et puis à la fin la mort, dans un fauteuil, le célèbre fauteuil qui est conservé à la Comédie-Française.
"Mon héros"
A cela, Boulgakov ne fait pas allusion, mais à sa sépulture, il fallut une intervention de Louis XIV pour qu’on l’enterrât, pensez, un comédien : « Mon héros entra donc dans la terre parisienne et y disparut ». Boulgakov l’appelle « mon héros », qui est autant un terme de romancier que d’adorateur. Et il finit ainsi, en allusion à la fontaine Molière : « Il est là, le comédien royal, avec des nœuds de ruban de bronze à ses souliers ! Et moi, qui n’ai jamais eu l’occasion de le voir, je le salue et lui dis adieu ».L'adaptation de Ronan Rivière
Ronan Rivière, qui a adapté le texte, n’a pas eu l’ambition d’orchestrer la rencontre entre les deux génies, le dialogue Molière-Boulgakov. Il a fait simple. Il s’est attaché à Molière dans la bouche de Boulgakov, avec les mots de Boulgakov. Et parfois ceux de Molière. Pas les plus connus, cela, c’est très habile: « L’étourdi », « La jalousie du barbouillé », « Le dépit amoureux » Le Molière des débuts, le plus farcesque, le plus épique, le plus virevoltant (souvenez-vous de Philippe Caubère dans le film d’Ariane Mnouchkine) Le refus d’être tapissier, comme papa. Les études au prestigieux collège de Clermont, où l’on parle latin entre élèves (voyez d’où viennent les médecins et leur galimatias!), où il croise Condé et Conti, les deux princes cousins du roi. La compagnie fondée avec la famille Béjart, l’Illustre Théâtre, le passage à Toulouse, Limoges, Le Mans, Angoulême, le triomphe de Lyon, le tour de France, les dettes, les succès, l’écriture dans le cahotement des charrettes (« Des bœufs efflanqués tiraient les charrettes bourrées d’un invraisemblable saint-frusquin »), l’installation à Pézenas (chez Conti), les intrigues, la folle énergie déployée durant cette vie de bohème, de panache et d’incertitude (tout couvert d’or un jour, tout couvert de papier le surlendemain) jusqu’au retour à Paris, la protection de Monsieur, frère du roi. La protection du roi.Vif, enjoué, charmant
Après Ronan Rivière passe un peu vite. Ou plutôt il fait le choix des scandales, « Le Misanthrope », « Tartuffe », « Don Juan » Pourquoi pas? Tant il en ressort ce soutien ambigu mais constant de Louis XIV à son auteur, qu’il ne peut approuver ouvertement mais dont il respecte le génie. La mort arrive bien vite, on n’a même pas parlé de « L’avare », du « Bourgeois gentilhomme », des « Femmes savantes » ! C’est qu’il faut tenir dans la petite heure dévolue à cet apéritif théâtral qu’on aurait presque souhaité aux dimensions d’un vrai souper.On le regrette car tout cela est vif, enjoué, charmant. Un décor de charrette à foin, quelques accessoires, deux comédiens : Rivière lui-même, clair narrateur qui joue Boulgakov et Molière, parfois avec une gaieté un peu forcée. Michaël Cohen, très bien, très juste, très drôle quand, avec son physique de rond nounours aux yeux noirs, il nous fait Madeleine Béjart mais capable aussi de déclamer Philinte, qui n’est pas le rôle le plus facile ni le plus valorisant. Olivier Mazal se charge des respirations musicales, de Lully, pas les pièces écrites pour Molière mais d’autres, qui, jouées au piano, s’imprègnent d’une étrange mélancolie.
C’est parsemé de jolies idées, comme cette rampe de lumière qui devient le cercueil de Joseph Béjart, nos deux compères tiennent le rythme sans temps mort et l’on se dit « Déjà ! » quand les lumières se rallument. Après, comme il est presque huit heures, on va dîner. Que va-t-on boire à table ? Un Boulgakov rouge ? Ou un Molière blanc ?
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