Cet article date de plus de dix ans.
A la Comédie-Française, un nouveau "Tartuffe" énigmatique et sensuel
3100 représentations de « Tartuffe » à la Comédie-Française: c’est l’œuvre la plus jouée sur notre scène nationale. La dernière mise en scène (de Marcel Bozonnet) datait de 2005. La nouvelle (de Galin Stoev) réunit Michel Vuillermoz (Tartuffe) et Didier Sandre (Orgon)
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Sandre- Vuillermoz
Quelles raisons a-t-on de monter « Tartuffe » ? Y faire entendre quelque chose de nouveau, d’original, sur la liberté, la religion, le mensonge, le pouvoir (et le pouvoir sur autrui) ? Sur tous ces points Stoev ne nous fait aucune révélation, ne bouleverse pas notre vision de l’œuvre. Pourtant ce « Tartuffe » de belle facture mérite largement d’être vu.
D’abord pour le couple-phare. Avec un Didier Sandre tout jeune pensionnaire (il est entré dans la maison au dernier novembre) mais après tant d’années sur d’autres scènes qui ont fait de lui un de nos plus grands comédiens de théâtre. Première constatation : on aurait pu tout aussi bien avoir Vuillermoz en Orgon et Sandre en Tartuffe (ce n’est pas le cas de toutes les distributions) Deuxième constatation : on n’en saura pas plus sur la fascination d’Orgon pour Tartuffe, énigme qui nous interpelle depuis trois cents ans, et dont Orgon (l’Orgon magnifique de Sandre) ne peut, dans ses gestes, dans son visage (le visage blême, impassible ou tourmenté, parfois furieux parfois extatique de Sandre), rien nous expliquer non plus.
On est aujourd’hui à plein dans ces questions, l’organisation de la cellule familiale, l'évolution de la virilité...
Enigme qui taraude aussi sa famille. Car Orgon est d’abord (cela, c’est sûr) un chef de famille effrayé de l’autorité qu’on lui demande d’avoir (ce monde du XVIIe siècle où l’autorité d’un père et d’un mari est aussi écrasante que l’autorité d’un roi) et qu’il n’a pas. Louis XVI sera un Orgon. Magnifique scène d’ouverture: la famille fait la noce, boit du champagne, mange des gâteaux, Orgon est en voyage. Le chat bigot n’est pas là, les souris dansent, de plaisir et de volupté. Orgon revient, ramasse un verre sale sans aucun commentaire. On est aujourd’hui à plein dans ces questions, l’organisation de la cellule familiale, l’évolution de la virilité, la part de la féminité dans chaque homme, voir les déclarations de Depardieu, celles de Zemmour… Les seules accès d’autorité (de fureur plus que d’autorité) d’Orgon, donner sa fille puis ses biens à Tartuffe, tournent à la catastrophe. Sandre, perdu, dépassé, et si souvent AILLEURS, y est magnifique. Comme est formidable le Tartuffe de Vuillermoz. Inattendu. Pas du tout à raser les murs, multiplier les génuflexions. Vêtu de noir, oui, mais un noir triomphant, un noir Soulages. Son unique préoccupation : Elmire. Draguer Elmire, forniquer avec Elmire. L’œil qui frise, les désirs priapiques. Du coup le fameux « Cachez ce sein que je ne saurais voir » lancé à Dorine n’est pas la réaction d’un (faux) prude mais d’un vrai jouisseur qui ne veut pas que ce téton-là le détourne de celle qu’il convoite. Le soin de la prière, il le laisse à son étrange Laurent (étrange Valentin Rolland) à la fois paillard et satanique.
Stoev nous intrigue puis nous passionne
C’est avec de telles notations contraires à la tradition que Stoev nous intrigue puis nous passionne. Une Dorine plus du tout servante, non, plutôt une cousine lointaine recueillie après un revers de fortune et qui a son franc-parler, sa lucidité revenue de tout. Cécile Brune fait sonner les vers fameux de Dorine (« … la part que vous prenez à sa convalescence ») avec un sens implacable du tempo. Elsa Lepoivre rend très bien l’honnêteté, la simplicité d’Elmire et surtout le désir de cette femme qu’on lui FICHE LA PAIX. Serge Bagdassarian fait de Cléante, le frère moralisateur, un personnage auquel on s’attache et… qu’on écoute. Claude Mathieu, Michel Favory, tous les jeunes (dont le Damis de Christophe Montenez, teigneux mais émouvant de désarroi quand son père le rejette) : c’est l’esprit d’une vraie troupe. Costumes somptueux (de Bjanca Adzic Ursulov) et qui balaient deux siècles : d’un côté la famille, XVIIIe siècle, celui du plaisir et du bonheur de vivre; de l’autre Orgon, lin, coton, soie, couleurs fauve et crème, genre villégiature des années 20 avec Gatsby ou Virginia Woolf. Un austère de cette élégance, il n’y en a eu qu’un dans l’histoire: Robespierre ! En trait d’union un Tartuffe du XIXe siècle, d’une Eglise triomphante qui pensait, après les Révolutions, avoir à jamais reconquis le pouvoir, avant de le perdre encore, c’est-à-dire de le partager. Famille bouleversée, siècles qui se heurtent et Vuillermoz au milieu, en majesté même après sa chute. Oui, ce « Tartuffe »-là mérite d’être vu.
"Tartuffe" à la Comédie-Française
Salle Richelieu
Du 20 septembre au 16 février
2h15
Réservation : 08 25 10 16 80
Quelles raisons a-t-on de monter « Tartuffe » ? Y faire entendre quelque chose de nouveau, d’original, sur la liberté, la religion, le mensonge, le pouvoir (et le pouvoir sur autrui) ? Sur tous ces points Stoev ne nous fait aucune révélation, ne bouleverse pas notre vision de l’œuvre. Pourtant ce « Tartuffe » de belle facture mérite largement d’être vu.
D’abord pour le couple-phare. Avec un Didier Sandre tout jeune pensionnaire (il est entré dans la maison au dernier novembre) mais après tant d’années sur d’autres scènes qui ont fait de lui un de nos plus grands comédiens de théâtre. Première constatation : on aurait pu tout aussi bien avoir Vuillermoz en Orgon et Sandre en Tartuffe (ce n’est pas le cas de toutes les distributions) Deuxième constatation : on n’en saura pas plus sur la fascination d’Orgon pour Tartuffe, énigme qui nous interpelle depuis trois cents ans, et dont Orgon (l’Orgon magnifique de Sandre) ne peut, dans ses gestes, dans son visage (le visage blême, impassible ou tourmenté, parfois furieux parfois extatique de Sandre), rien nous expliquer non plus.
On est aujourd’hui à plein dans ces questions, l’organisation de la cellule familiale, l'évolution de la virilité...
Enigme qui taraude aussi sa famille. Car Orgon est d’abord (cela, c’est sûr) un chef de famille effrayé de l’autorité qu’on lui demande d’avoir (ce monde du XVIIe siècle où l’autorité d’un père et d’un mari est aussi écrasante que l’autorité d’un roi) et qu’il n’a pas. Louis XVI sera un Orgon. Magnifique scène d’ouverture: la famille fait la noce, boit du champagne, mange des gâteaux, Orgon est en voyage. Le chat bigot n’est pas là, les souris dansent, de plaisir et de volupté. Orgon revient, ramasse un verre sale sans aucun commentaire. On est aujourd’hui à plein dans ces questions, l’organisation de la cellule familiale, l’évolution de la virilité, la part de la féminité dans chaque homme, voir les déclarations de Depardieu, celles de Zemmour… Les seules accès d’autorité (de fureur plus que d’autorité) d’Orgon, donner sa fille puis ses biens à Tartuffe, tournent à la catastrophe. Sandre, perdu, dépassé, et si souvent AILLEURS, y est magnifique. Comme est formidable le Tartuffe de Vuillermoz. Inattendu. Pas du tout à raser les murs, multiplier les génuflexions. Vêtu de noir, oui, mais un noir triomphant, un noir Soulages. Son unique préoccupation : Elmire. Draguer Elmire, forniquer avec Elmire. L’œil qui frise, les désirs priapiques. Du coup le fameux « Cachez ce sein que je ne saurais voir » lancé à Dorine n’est pas la réaction d’un (faux) prude mais d’un vrai jouisseur qui ne veut pas que ce téton-là le détourne de celle qu’il convoite. Le soin de la prière, il le laisse à son étrange Laurent (étrange Valentin Rolland) à la fois paillard et satanique.
Stoev nous intrigue puis nous passionne
C’est avec de telles notations contraires à la tradition que Stoev nous intrigue puis nous passionne. Une Dorine plus du tout servante, non, plutôt une cousine lointaine recueillie après un revers de fortune et qui a son franc-parler, sa lucidité revenue de tout. Cécile Brune fait sonner les vers fameux de Dorine (« … la part que vous prenez à sa convalescence ») avec un sens implacable du tempo. Elsa Lepoivre rend très bien l’honnêteté, la simplicité d’Elmire et surtout le désir de cette femme qu’on lui FICHE LA PAIX. Serge Bagdassarian fait de Cléante, le frère moralisateur, un personnage auquel on s’attache et… qu’on écoute. Claude Mathieu, Michel Favory, tous les jeunes (dont le Damis de Christophe Montenez, teigneux mais émouvant de désarroi quand son père le rejette) : c’est l’esprit d’une vraie troupe. Costumes somptueux (de Bjanca Adzic Ursulov) et qui balaient deux siècles : d’un côté la famille, XVIIIe siècle, celui du plaisir et du bonheur de vivre; de l’autre Orgon, lin, coton, soie, couleurs fauve et crème, genre villégiature des années 20 avec Gatsby ou Virginia Woolf. Un austère de cette élégance, il n’y en a eu qu’un dans l’histoire: Robespierre ! En trait d’union un Tartuffe du XIXe siècle, d’une Eglise triomphante qui pensait, après les Révolutions, avoir à jamais reconquis le pouvoir, avant de le perdre encore, c’est-à-dire de le partager. Famille bouleversée, siècles qui se heurtent et Vuillermoz au milieu, en majesté même après sa chute. Oui, ce « Tartuffe »-là mérite d’être vu.
"Tartuffe" à la Comédie-Française
Salle Richelieu
Du 20 septembre au 16 février
2h15
Réservation : 08 25 10 16 80
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