"Rano, Rano" : 70 ans après, la mémoire d’un massacre colonial à Madagascar
Avec ses étudiants installés à même la pelouse, qui devisent en petits cercles, l’université de Strasbourg a tout l’air d’un campus à l’américaine. L’atmosphère n’étouffe pas sous le poids du nombre et de ses 46 000 inscrits. Des percussions à l’air libre résonnent librement alors que dans la salle de danse on reçoit un auteur malgache.
Jean-Luc Raharimanana est l’interprète de son propre texte "Rano, Rano", une invocation prononcée par des combattants lors de l’insurrection de 1947. Ces deux mots magiques étaient censés les protéger des balles de l’armée française. Ils symbolisaient une façon de se tenir debout, dignement, dans une aspiration à la liberté. Quand on lui demande ce qu’il reste de cet esprit aujourd’hui, c‘est le mot "corruption" qui saille dans sa réponse comme une pierre dans la bouche.Raharimanana a rencontré des survivants de 1947
L’auteur n’a pas connu 47. Il est né vingt ans plus tard à Antananarivo, la capitale de Madagascar, où il réside jusqu’à l’âge de 22 ans. Un recueil de nouvelles, "Lucarnes", a fait connaître sa langue d’écriture puissante et belle, rageuse et elliptique, d’une poésie lestée de lames, de coups et de… balles perdues.Raharimanana a rencontré des survivants de 47. Plusieurs publications sont nées, dont "Nour, 1947", un roman qui vient d’être réédité par Vents d’ailleurs à l’occasion du 70e anniversaire de l’insurrection : "Mes livres sont des linceuls pour ensevelir la mémoire des insurgés de 1947", des linceuls c’est-à-dire dans la culture malgache un geste qui redonne au défunt sa dignité.
Reportage : Christian Tortel : Christian Tortel, Jean-Pierre Magnaudet, Bernard Blondeel. Montage : Dominique Lagneaux. Mixage : Bruno Haentjens.
« Je vous prends à témoin », dit l’auteur au public
Dans "Rano, Rano", l’auteur-interprète a choisi de dire une parole frontalement devant le public :"Je danse et je berce une blessure que je n’ai pas connue (…) A votre tour, je vous prends à témoin". De chaque côté de cette avancée de paroles, le spectateur est confronté aux photos en noir et blanc de Pierrot Men, des prises de vues contemporaines ou des grands témoins de 1947, projetées dans l’encadrement de la scène. Ce dispositif de paroles frontales et de photos latérales est soutenu en fond de salle par l’admirable musique de Tao Ravao, musicien qui transcende les paroles par les vibrations de son "valliha", dans un son de kora ou de cithare, tantôt fluides tantôt percutantes quand il frappe le bambou de la main.Un auteur, de la scène au colloque universitaire
"Il existe sept versions de "Nour" dira Raharimanana le lendemain devant les universitaires réunis pour le colloque "La relation franco-africaine : une nouvelle histoire politique et littéraire (1975-2015)".L’écrivain insiste sur sa volonté de "transmettre une mémoire" alors que "manquent les référence malgaches" de cette insurrection : "Quand il n’y a pas de transmission, il y a silence."
L’insurrection de Madagascar en 1947 fait partie des pages sombres de l’histoire de France, comme à Sétif, en Algérie (mai-juin 1945), Haiphong, en Indochine (1946), en Côte-d'Ivoire (1949-1950), à Casablanca (1947) ainsi que le présente Yves Benot dans "Massacres coloniaux (1944-1950) : la IV République et la mise au pas des colonies françaises" (La Découverte).
L’insurrection dans la "Grande île" est considérée avec l’insurrection indochinoise comme le début de la décolonisation dans l’Empire français. L’événement est commémoré à Madagascar par un jour férié le 29 mars.
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