Un très drôle "Concert sans retour" dans le Off d'Avignon, par "Cinq de cœur"
Tout commence comme un concert classique, cinq chanteurs lyriques s’apprêtent à interpréter leur répertoire de prédilection, « germanique en allemand », ajoute-t-on : Brahms, puis Schubert, Bach… Le public du théâtre « Le Chien qui fume », à Avignon, pourrait y croire, vue la qualité des premières mesures entonnées. Ces cinq là ont de la voix et tout cela sent fortement le vécu. Mais l’harmonie de l’ensemble est de courte durée : qu’est-ce qu’il a, le baryton à pas se tenir comme il faut et serrer ses mains contre le ventre, s’inquiète, agacée la chef de cœur (Sandrine Mont-Coudiol). Et puis ces deux autres chanteuses à se chamailler comme des poules de basse cour ? D’énervement en incandescences, le concert à peine commencé, déraille.
« L’affiche résume le spectacle », explique Karine Sérafin, l’une des cinq : « un bout de scène, représenté par un piano, se décroche, part à la dérive pour être submergé par un tsunami. Nous, les chanteurs, essayons de garder le cap et de terminer le concert en professionnels. Mais on est submergé par nos souvenirs qui remontent à la surface, nos vies personnelles ou communes, nos envies contrariées… ». Ces mémoires, ces désirs se traduisent en chansons du patrimoine, une heure durant : de « Dreams », la chanson de la Boum, où les frustrations amoureuses datent de l’âge des boutons à « Spell on you » de Nina Simone (émouvante), ou « Avec le temps », « Le chanteur de Mexico » (drôle à se tordre) ou « La chanson d’Hélène, tirée des « Choses de la vie » de Philippe Sarde. Tous des standards, sauf une cantilène bretonne, « Une jeune fille de quinze ans », qui dépareille à souhait.
Le plaisir pour le spectateur tient autant à la succession des gags de facture sobre et classique (dans la tradition des Marx Brothers ou de Chaplin pour s’entendre) qu’à la qualité de l’interprétation musicale. A commencer par les morceaux de virtuosité, en classique, comme en voix de crooner ou de jazz. C’est là l’une des spécificités de l’ensemble « Cinq de cœur », créé il y a vingt ans par des chanteurs du prestigieux Chœur Accentus qui décidaient de faire l’école buissonnière en s’encanaillant du côté du jazz ou de la chansonnette, mis en scène par Anne Roumanoff. Depuis, exceptée Pascale Costes, co-fondatrice toujours présente, l’ensemble a changé de voix et a évolué en se professionnalisant. L’exigence musicale est la même, mais elle s’est enrichie de la dimension comédie musicale peu présente aux débuts. Patrick Laviosa (qui eut deux Molière dont un du théâtre musical) venu de la musique de scène, et Fabian Ballarin en sont les représentants. « Chaque nouvel arrivant vient avec son univers et ça construit le tout », ajoute Karine Sérafin : « Fabian nous a apporté l’improvisation jazz et le beat-boxing (rythmes réalisés avec la voix) ».
La particularité du spectacle « Le concert sans retour » tient à la capacité des interprètes à raconter eux-mêmes les histoires intégralement par la voix : la musique, les chansons - dotées de leur arrangement disco ou pop fait maison, les bruitages, les sons des poules, des chèvres… « On joue la comédie, on chante, on danse, c’est donc de la comédie musicale, mais tout est a cappella, les musiciens c’est nous », ajoute Fabian Ballarin ; « et notre liberté est grande, y compris dans l’improvisation : même si le spectacle est écrit, c’est une création à l’infini ! ».
Au « Théâtre du Chien qui fume », jusqu’au 25 juillet
75 rue des Teinturiers 84000 Avignon
Avignon Off
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.