"Babel 7.16", une "célébration de la coexistence" face à la barbarie des attentats par Sidi Larbi Cherkaoui
Damien Jalet a vécu les attentats du 13 novembre 2015 à Paris "de très, très près", puisqu'il était rue de Charonne, en face du restaurant La Belle Equipe et qu'il a croisé le regard d'un terroriste avant de fuir. "La proposition de Larbi de remonter Babel pour la Cour d'honneur est venue deux semaines après et dans un premier temps, j'ai dit non, là je n'ai plus de jus" dit-il.
"Il y a 17 langues sur scène dans "Babel 7.16"
Mais le chorégraphe s'est vite repris : "la réponse, elle est peut-être dans la création d'un projet commun comme celui là". "Il y a 17 langues sur scène dans "Babel 7.16", les artistes viennent du monde entier, c'est magnifique de voir des gens qui viennent de si loin vivre et créer ensemble, c'est une pièce sur la célébration de la coexistence".Reportage de F. Poret / V. Danger / M. Samson
"Babel", créé en 2010 par le duo, a voyagé depuis dans le monde entier. Pour la Cour, ils ont doublé le nombre d'interprètes (plus d'une vingtaine), s'adaptant à la gigantesque scène, près de trois fois plus grande que les plateaux habituels. "On a réuni tous les interprètes qui ont joué Babel depuis 2010". Le spectacle est bien sûr inspiré par l'épisode biblique de la fameuse tour de Babel lancée par les hommes vers le ciel, ce dont Dieu les punira en brouillant leur langue pour qu'ils ne se comprennent plus.
"On voulait travailler sur l'héritage, sur le lien tribal en même temps sur la dissipation des frontières et la nouvelle culture mondiale globalisée", explique Damien Jalet. "Damien et moi, on est tous les deux bi-nationaux, lui franco-belge et moi belgo-marocain, en plus il est de culture francophone et moi flamande, cette question de l'identité est très présente en Belgique", rappelle Sidi Larbi Cherkaoui.
Musique métissée
La musique, extrêmement métissée, est une sorte de "route de la soie", avec deux musiciens de musique médiévale italienne, espagnole et française, deux musiciens du Rajasthan et deux percussionnistes japonais. De gigantesques tambours sont posés sur les côtés du plateau de part et d'autre.Un groupe de musiciens se dissimule derrière les vitraux de la Cour d'honneur, et un chanteur lance parfois sa mélopée du haut de l'immense mur de pierre qui ferme le fond du plateau. "On a aussi demandé aux musiciens de travailler sur des musiques électroniques avec leurs instruments anciens", ajoute Sidi Larbi Cherkaoui.
Sur scène, ce métissage de l'ancien et du nouveau, des danseurs de toutes origines et de toutes langues éclate avec une énergie fabuleuse. Un homme préhistorique rencontre une femme bionique.
Généreux et bavard
Du chaos des langues émerge le langage commun du corps. Le spectacle déploie aussi beaucoup d'humour. Comme ce cocasse contrôle au portique d'un aéroport où un agent de sécurité pose des questions aux passagers à la tête du client ("chicken tikka?" pour l'Indien, "Molotov, Kalachnikov?" pour la Russe) et exige de la femme voilée qu'elle laisse derrière elle "son voile et ses traditions".La danse est ponctuée de conférences incongrues, sur les neurones ou "l'avenir de la danse contemporaine belge". Le spectacle généreux et bavard (mais c'est Babel, n'est-ce pas?) requinque singulièrement dans le climat des attentats, plus propice à l'exaltation des différences qu'à la coexistence pacifique. "On vit tous aujourd'hui avec la conscience de ces horreurs, mais la vie est là aussi", souligne Sidi Larbi Cherkaoui. "Beaucoup de gens arrivent à vivre ensemble et à dépasser leurs différences, et on en parle pas assez".
"Babel 7.16"
Chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet
Jusqu'au 23 juillet 2016 à 22H00
Cour d'honneur Palais des Papes - Avignon
Durée : 1h40
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