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Philippe Decouflé, en "Contact" avec le diable et… le music-hall

Tap dance à la sauce techno, ballet dans les airs, danse à l'élastique, spectacle de magie, électro-rock endiablé signé Nosfell : le dernier spectacle de Philippe Découflé revisite le genre de la comédie musicale avec poésie, humour et… philosophie. Créé à Rennes, "Contact" fait une halte au Théâtre de Chaillot, à Paris, avant de repartir en tournée dans toute la France et en Europe.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (Laurent Philippe)

Les gradins de Chaillot sont pleins. Public bigarré : trentenaires branchés parisiens, des têtes grises, mais aussi beaucoup d'ados et des enfants. Philippe Découflé s'assure le renouvellement des générations. Et des curiosités, car on vient ici aussi pour cela, découvrir, voir. On ne sait trop quoi, même si l'on parle d'un vieux désir de comédie musicale que le chorégraphe assouvirait à cinquante ans passés. L'invitation du premier comédien-danseur-musicien de la troupe (Stéphane Chivot), se présentant comme Méphistophélès, est assez séduisante : bienvenue à tous, nous dit-il, y compris à ceux qui voudraient utiliser leurs portables ou prendre des photos à condition qu'ils le fassent sur scène.

Hommage à Pina Bausch

Car la scène est l'espace à occuper, dans son intégralité, et en permanence. Les côtés, par les musiciens, le chanteur Nosfell et son inséparable violoncelliste-arrangeur-chef Pierre Le Bourgeois. Et le centre, par le reste d'une troupe de 16 personnes qui sans relâche, pendant une heure quarante, danse, marche, récite et chante. C'est un hommage revendiqué à la chorégraphe allemande Pina Bausch (créatrice du "Kontakthof" en 1978 qui a inspiré Découflé, d'où le titre "Contact") et à sa troupe hétéroclite, de danseurs "grands et petits, beaux et laids, jeunes et vieux", comme celle qu'a créée plus tard, en 1983, Philippe Découflé, la "Compagnie DCA". Et "Contact" part de là, de l'existence même d'un spectacle grâce aux comédiens qui l'animent. Du coup, le chorégraphe propose au public d'assister à sa construction : "on assiste", explique-t-il "à la vie d'une troupe : répétitions, échanges. Tout ce qui d'ordinaire est caché devient pour l'occasion stylisé, chorégraphié et mis en musique".

Le résultat est un spectacle total (vu à l'endroit et à l'envers) où la danse côtoie le cirque (formation d'origine de Découflé), le théâtre, la vidéo et le concert… dans le but de composer une comédie musicale. Et Découflé puise allégrement dans la culture du music hall. A commencer par la référence entre toutes : Fred Astaire et Ginger Rogers, des pas enchaînés avec une remarquable fluidité, mais revus et corrigés à la sauce techno. Humour et paillettes.
  (Laurent Philippe)
Comme dans ces autres clins d'œil américains, traités entre hommage et drôlerie : "West Side Story" et son combat de bandes rivales, et surtout le "Harlem shake" et le "voguing", cette danse new yorkaise qui moque les poses appliquées des mannequins dans les magazines.

Questions philosophiques et patins à roulette

Et, dans le feu de la danse, mine de rien, "Contact" aborde des questions de taille : il interroge l'identité et le genre (homme et femme allégrement confondus dans les postures et les déguisements), la place de l'individu dans le groupe et la multiplicité de chacun (on pense aux effets kaléidoscopiques et aux vidéos de démultiplication de l'image, dont l'esthétique rappelle les montages photo d'Erwin Blumenfeld dans les années 1950).
  (Laurent Philippe)
Autre question : où est le bien, où est le mal ? Et qui est ce Faust de poésie ? Car Découflé revisite dans ce spectacle le mythe de Faust, donnant à ce dernier l'apparence maladroite, naïve et enchantée de Christian Salengro (acteur qui se fit connaître en incarnant le président de Groland sur Canal +) et à Méphistophélès l'apparence de Stéphane Chivot, comédien-musicien (ou plutôt le contraire) en culottes courtes et porte-chaussettes. Ayant vendu son âme au diable pour un peu de bonheur, Faust, le scientifique (qui prend les traits du Faustrolle d'Alfred Jarry quand il cherche à mesurer la surface de Dieu, coiffé d'un drôle de couvre-chef métallique !), Faust donc, tombe éperdument amoureux d'une ravissante créature (Clémence Galliard) dont il ne se souvient pas bien si elle porte le nom de Marguerite ou d'une autre fleur…
  (Laurent Philippe)
Les subtilités mathématico-philosophiques de Faust (appelé aussi Jean-Claude ou Jean-Faust…) échapperont sûrement aux spectateurs qui retiendront plutôt l'extraordinaire succession de tableaux poétiques (peut-être trop nombreux ?) s'enchaînant comme sur un fil dans un équilibre joliment instable : les univers musico-oniriques de Nosfell, oscillant entre musique contemporaine, rock et techno, les spectacles de magie proposés par un homme aux doigts qui poussent une fois arrosés, et son assistante à deux têtes (posées l'une au-dessus de l'autre), les décors dessinés rappelant l'univers de Boris Vian, une ballerine dansant dans les airs accrochée à une corde… Et notre préféré, un ange qui passe, au milieu des nuages, lancé sur ses patins à roulettes. Il n'était pas prévu celui-là, mais Fellini semble être aussi passé par là…

"Contact" de la Compagnie DCA/Philippe Découflé
Au Théâtre national de Chaillot
1 place du Trocadéro, Paris 16
Jusqu'au 6 février 2015, puis en tournée en France 

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