Le génie de Rudolf Noureev, tsar des ballets
La vie romanesque de Rudolf Noureev, le danseur venu du froid, commence dans un train. C'est en effet à bord du Transsibérien qu'il voit le jour, le 17 mars 1938, près d'Irkoutsk, non loin des rives du lac Baïkal. Le petit Rudy a trois soeurs. Sa famille d'origine tatar est très pauvre et il a souvent faim. Sa vie bascule à l'âge de sept ans quand il assiste à son premier ballet à Oufa. "J'en fus ébloui, fasciné et ému jusqu'au fond de l'âme" dira-t-il dans son autobiographie, publiée dès l'âge de 24 ans. Il se sent "appelé" par la danse. Il quitte alors son village de Sibérie et sa famille, prélude d'une vie de sacrifices. Sa force de caractère hors du commun lui permettra de devenir étoile au Kirov, le fameux ballet de Saint Pétersbourg (Léningrad à l'époque). Puis de fuir l'Union Soviétique lors d'une tournée en France. Le 16 juin 1961, à l'aéroport du Bourget, le KGB veut le renvoyer seul à Moscou alors que le reste de la troupe part à Londres. Le régime souhaite recadrer ce danseur rebelle et homosexuel qui refuse d'adhérer au Parti Communiste. Noureev fait alors le grand saut et décide de passer à l'Ouest. Il sait que tout retour sera impossible.
Le bonus de Culturebox: Noëlla Pontois évoque son ami Noureev
Interview Valérie Gaget et montage Isabelle Tartakovsky
Il restait suspendu en l'air
Noureev est un danseur virtuose. Premier trait de son génie: sa détente, doublée d'une technique impressionnante. Il saute si haut qu'il semble s'envoler. Noëlla Pontois a été la première étoile française qu'il ait choisie pour danser à ses côtés. ". J'étais toute jeune et tout le monde voulait danser avec lui. C'est moi qui ai gagné le gros lot" dit-elle en souriant. Elle nous raconte que le russe avait une détente incroyable et la faculté extraordinaire de rester "comme suspendu en l'air". Elle se souvient d'un travailleur acharné et exigeant. Il pouvait s'exercer jusqu'à 14 heures par jour. Un homme en quête de perfection, pas toujours facile à vivre. "Il était très autoritaire mais en même temps très charmeur, un contraste complet. Moi, je n'ai eu que les bons côtés (...) Il pouvait parfois insulter les gens (...) C'était pas quelqu'un de très raffiné (...) Il était un peu moujik sur les bords".Tsar et rock star
Un peu diva et très cabot, Rudolf Noureev sera le premier danseur adulé comme une rock star. Dans le monde entier, ses fans l'attendent à la sortie des salles de spectacle pour obtenir un autographe. Un soir, il aura 89 rappels. Soit une heure et demi d'applaudissements.Reportage France 2: Valérie Gaget / Frédéric Bazille / Laurent Calvy / Daniel Fuet / Annie-Claude Béquet
La place des hommes
Deuxième trait de son génie: la place qu'il a accordée aux hommes dans ses chorégraphies. Pour Kader Belarbi, ancien danseur étoile de l'Opéra de Paris et actuel directeur du Ballet du Capitole deToulouse, la rencontre avec Noureev a été un électrochoc. "C'était une bête de scène, un fauve. Quand il arrivait, il avait une telle présence, une telle surexposition de lui-même qu'il rayonnait. On ne voyait que lui".Sur le ton de la confidence, il nous dit: "Je suis devenu danseur deux fois. A l'entrée à l'école de danse et quand il est arrivé à l'Opéra de Paris en tant que directeur. Avant lui, je faisais juste un métier. Je n'avais pas saisi que cela n'a rien à voir avec l'exécution d'une gymnastique, d'un sport. Cela va bien au-delà et c'est grâce à lui que je l'ai compris". Il nous explique que Noureev a révolutionné le rôle des hommes dans les ballets classiques."Il leur a donné à danser. A manger, comme il disait. Anciennement, le danseur était parfois un déménageur. Quand il était à côté de la danseuse, il n'apparaissait pas.Toute l'écriture de Noureev a été de mettre le corps masculin dans le monde du ballet".
Des obsèques nationales
Rudolf Noureev a brûlé sa vie par les deux bouts. Comme s'il avait eu le pressentiment qu'elle serait brève. Le 8 octobre 1992, sur la scène du Palais Garnier, il apparaît très affaibli. Soutenu par les danseurs de son ballet fétiche "La Bayadère", il sait que ce sera sa dernière révérence, Le tsar de la danse, malade du sida depuis plusieurs années, a mis ses dernières forces dans cette mise en scène. Vêtu à la slave, il est décoré par la France, son pays d'adoption. Jack Lang le fait Commandeur des Arts et Lettres. "Quand je l'ai vu sur scène, le soir de la première, je n'ai pas pu rester à la fin quand il est venu saluer" raconte Noëlla Pontois."Cela m'a fait tellement mal au coeur de le voir comme ça. Mais en même temps, il est presque mort sur scène et je pense que, quelque part, ça lui a convenu".Noureev s'éteint un an après, à l'âge de 54 ans, laissant sur la danse sa marque indélébile. Le jour de ses obsèques, un hommage national lui est rendu au Palais Garnier. Six danseurs, dont Kader Belarbi, portent son cercueil dans le grand escalier de l'Opéra. Il repose depuis 1993 au cimetière russe de Sainte Geneviève des Bois, non loin de son compatriote, le chorégraphe Serge Lifar. Sa tombe est couverte d'un grand tapis en mosaïque, comme il les aimait. Noureev disait : "Tant que mes ballets seront dansés, je serai vivant".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.