"Car/Men" : l'opéra de Bizet revisité par des danseurs masculins en jupes de flamenco, loin des stéréotypes
La salle du Théâtre Libre bat son plein. Les spectateurs se remémorent sur leurs sièges rouges la dernière pièce du chorégraphe Philippe Lafeuille, Tutu . Derrière le rideau, on entend un cri de guerre. La compagnie de danseurs Chicos Mambo, s’apprête à revisiter Carmen, l’opéra de George Bizet en version "men". Sur les plus beaux airs de l’un des opéras français les plus joués au monde, la troupe exclusivement masculine se dévoile dans de flamboyants costumes blancs à pois rouges.
Ils se fondent dans le décor comme des trompe-l’œil sortis d’un film de Tim Burton. Cagoulés, ils arborent les attributs andalous, comme les robes de flamenco, les épaulettes de torero ou les castagnettes. Les chorégraphies de Philippe Lafeuille célèbrent la complémentarité et le mélange des danses. Flamenco, danse classique, contemporaine, andalouse et même voguing, la fusion est éclectique mais réussie.
Homme fatal
Le spectacle respecte symboliquement les grandes lignes de la partition originale de Bizet, même s'il est presque impossible de comprendre la trame de cette version, sans connaître un minimum l'histoire de l'œuvre. On retrouve les mythiques thèmes musicaux comme la chanson d'entrée de Carmen, L'amour est un oiseau rebelle, à l’acte un. " Et si je t'aime, prends garde à toi", chante parfaitement le chanteur androgyne, en robe de flamenco.
Ce Car/Men réinterprété creuse la partie comique de l'opéra, avec un humour similaire à celui du Tutu. On retrouve cet humour dans les parties théâtralisées du spectacle, moins dans la danse, ce qui est regrettable. Impossible cependant d’oublier la chorégraphie loufoque du torero Escamillo, en justaucorps doré avec des castagnettes pendues à l’entrejambe. Cette version de Carmen s’amuse des clichés et des stéréotypes masculins, de la supposée virilité innée, incarnée par tous les personnages masculins de l’opéra comme Don José, Escamillo ou Zuniga. Ici, Carmen est une attitude davantage qu’un sexe.
Beauté fatale, irrésistible, confiante, elle est unisexe. Chaque danseur explore cette part de féminité, résidant dans une pièce maîtresse des spectacles de Philippe Lafeuille, le tutu. Rouge et noir, il s’agit cette fois du jupon à volants traditionnel agité par les danseuses de flamenco. Chère également à la culture gitane, cette jupe folklorique sublime chaque mouvement de danse grâce à sa fluidité, devenant un élément à part entière de la mise en scène. Signés Corinne Petitpierre, déjà à l’œuvre pour les créations de Tutu, les costumes portent brillamment l'identité visuelle du spectacle.
Tutu volant
Philippe Lafeuille a bien compris la richesse de ce vêtement largement détourné dans de nombreuses variantes, en robe longue, en traîne ou en collerette. Les huit danseurs apprennent à faire corps avec le tissu fluide, multipliant les rondades et autres figures acrobatiques en emportant avec eux les vagues de tissus. Les danses sont pensées pour créer une unité de groupe. La marche militaire de la garde montante est ponctuée de blagues ou de mimiques qui rendent chaque tableau joyeux et léger.
Avec plus de 20 ans d’expérience, la compagnie Chicos Mambo a fait de la dérision et la déconstruction, le centre de sa direction artistique. Avec plus de 500 représentations et 400 000 spectateurs depuis dix ans, le spectacle Tutu est devenu une référence du spectacle vivant et particulièrement de la fusion entre danse et théâtre. Car/Men est une agréable interprétation loufoque d’un classique, à l’avenir prometteur.
"Car/Men" chorégraphié par Philippe Lafeuille, jusqu'au 4 février au Théâtre Libre et en tournée.
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