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Une "Irma la Douce" en demi-teinte portée par Nicole Croisille

Malgré le film de Billy Wilder où Shirley McLaine faisait le trottoir dans un Paris de carton-pâte, "Irma la Douce" est une œuvre bien française qu’en 1956 Colette Renard et Michel Roux menèrent au triomphe pour 1000 représentations. Irma, c’est aujourd’hui Marie-Julie Baup avec, en Nestor le Fripé, son homme, le mari de Marie lui-même, Lorant Deutsch !
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Nicole Croisille dans "Irma la douce"
 (Pascal Victor)

Un morceau d'époque disparu

Deux gentils interprètes, la belle musique de Marguerite Monnot, compositrice, pour Piaf, de « La vie en rose », « L’hymne à l’amour », « Milord » (rien que ça !), le talentueux Nicolas Briançon aux manettes: nous nous faisions une joie, fredonnant déjà le fameux « On va rien dire, on va s’aimer » en forme de valse lente. Avouons-le donc d’emblée : déception. Oh ! pas une de ces déceptions absolues et définitives. Non, une déception douce, comme Irma. Expliquons-nous.

On n’est pas pour la modernisation à tout prix, d’accord. Mais cette « Irma la Douce » servie dans son jus est tout de même un morceau d’époque disparue, à la Gabin (sans la violence), à la Audiard (sans la drôlerie), l’époque des putes (osons le mot) au grand cœur, des macs et des maquerelles de Pigalle estampillée noir et blanc. Racontons : Irma fait le tapin au pied de la Butte Montmartre. Son mec, celui qu’elle a dans la peau, c’est Nestor le Fripé. Nestor l’aime itou, mais il est jaloux des hommes qu’elle accumule. Féministes, passez votre chemin: on ne parle ici jamais de protecteurs sadiques ou de cadences infernales, c’est un Pigalle propret où les souteneurs se disputent pour la rigolade, il y a même des travelos d’avant « La cage aux folles » et des musiciens cachés en fond de scène –très bons, les musiciens. Donc Nestor voudrait qu’Irma n’ait plus qu’un seul client et ce client… ce sera lui. Lui, déguisé en Oscar. Mais, de cet Oscar, en qui Irma n’a même pas reconnu son Nestor( !), Nestor devient jaloux aussi, au point de le « tuer »….
Lorànt Deutsch
 (Pascal Victor)
On est à mi-parcours, après ça part en vrille. Nestor, poursuivi par la justice, fera le tour du monde avant de retrouver son Irma prête à accoucher… d’une belle idée finale! Cette seconde partie s’est nourrie de poursuites improbables, de silhouettes de tribus amazoniennes tout droit sorties de « Tintin au Congo », d’un explorateur anglais en culottes coloniales, en prime un clin d’œil à « Fort Boyard » si escamoté qu’on arrive à peine à le comprendre !
Marie-Julie Baup (Irma)
 (Pascal Victor)
Les trous de l’histoire, la difficulté à en maintenir l’intérêt, ce monde de truands et de bagnards dont aucun n’a une vraie existence (à peine se détache-t-il un personnage de juge fort drôle) avec en supplément l’homo de service condamné à faire de la layette, tout cela donne un spectacle qui s’effiloche et que Briançon, malgré une bonne utilisation de l’espace, n’arrive pas à rattraper au point de finir par commettre, dans sa mise en scène, quelques erreurs.

Un couple vedette

Le couple vedette, évidemment, pourrait sauver la mise : il ne le fait que partiellement. Deutsch est un bon comédien : son Nestor ET son Oscar existent vraiment, séparément et ensemble. Mais il n’est pas chanteur, il le reconnait. Ou plutôt on le fait chanter, pour qu’il soit à l’unisson d’Irma, dans une tessiture de ténor qui n’est pas la sienne, où il multiplie les fausses notes. En baryton-basse (« Depuis que j’fais les parquets ») il est bien mieux, même si sa voix, pourtant sonorisée, ne passe guère la rampe. Marie-Julie Baup, elle, chante très bien, justesse et jolie timbre. Mais aucune gouaille, aucune fantaisie, rien du petit « truc » qu’on attend d’Irma, qui nous embarquerait avec les amoureux vers leur paradis en forme de valse. Heureusement….
Lorànt Deutsch et Marie-Julie Baup
 (Pascal Victor)

Formidable Nicole Croisille

Heureusement il y a Nicole Croisille. En meneuse de revue,  en « Maman », la narratrice, patronne du Cabaret des Inquiets, ex-pute, ex-maquerelle, fille au cœur charitable et au corps généreux. En dépit de l’âge, qu’elle ne cache nullement, la voix est là, vibrato contrôlé, encore des aigus (malgré une baisse de puissance) et un très beau médium mais surtout… le sens implacable du rythme, l’abattage, la présence: si vous voulez savoir comment on occupe la scène, surtout celle, immense, de la Porte-St-Martin, allez-y, c’est une leçon.
Nicole Croisille
 (Pascal Victor)
Et comment elle s’insère dans un cercle déjà constitué de danseurs, sans y toucher, en un timing impeccable ! Elle en fait beaucoup, y compris avec le public, mais c’est ce qui sauve cette « Irma la Douce » de la fadeur. Et nous fait comprendre –mais on l’avait déjà deviné!- que pour réussir un pareil défi, plutôt que des comédiens qui chantent, il vaudrait mieux des chanteurs qui jouent bien la comédie. Si, si, il y en a, plus qu’on ne croit. Voyez Croisille…

« Irma la Douce » au Théâtre de la Porte-St-Martin
De Marguerite Monnot et Alexandre Breffort
Mise en scène de Nicolas Briançon
18 Boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
01 42 08 00 32

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