Portrait "Il ne se révèle pas facilement" : qui est Laurent Lafitte, l'acteur qui se cache derrière Bernard Tapie ?

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le comédien Laurent Lafitte incarne Bernard Tapie dans la série "Tapie" qui sort le 13 septembre sur Netflix. (NETFLIX)
Laurent Lafitte incarne feu l'homme d'affaires dans une série sur Netflix. A 50 ans, l'acteur de la Comédie Française est devenu une figure du théâtre et du cinéma français qui, derrière ses airs de gendre idéal, cultive la discrétion et l'humour corrosif.

Tout serait parti d'une perruque. Au premier jour de tournage de 16 ans ou presque, Tristan Séguéla, le réalisateur, aurait rigolé en remarquant l'air de ressemblance entre Laurent Lafitte, qui arbore un toupet, et Bernard Tapie. Les deux hommes se marrent et se rendent compte qu'ils partagent l'envie d'adapter les 1 000 vies du chanteur, homme d'affaires, président de club et ministre. Nous sommes en 2012 et onze ans plus tard, moins de deux années après la mort de "Nanard", le projet est arrivé à son terme : la série Tapie est disponible sur Netflix mercredi 13 septembre.

Sous le costume et une bonne dose de maquillage, Laurent Lafitte donc. L'acteur de 50 ans, révélé au grand public dans le rôle du pote un peu lourdingue et amoureux dans Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet, est aujourd'hui une valeur sûre du paysage culturel français. Un touche-à-tout capable de jongler entre les classiques du théâtre, les grandes comédies populaires et les films d'auteur. Mais aussi quelqu'un capable de coups d'éclat humoristiques qui ont participé à sa renommée.

Des débuts incertains

Car Laurent Lafitte est naturellement drôle. Muriel Mayette-Holtz qui l'a eu comme élève au Conservatoire et lui a permis d'intégrer plus tard la Comédie Française, confirme :

"Il faisait l'imbécile toute la journée, c'était difficile de ne pas rire et de faire cours." 

Muriel Mayette-Holtz, ancienne prof de théâtre de Laurent Lafitte

à franceinfo

Le sens de la vanne, déjà. "J'aimais bien énerver mes profs en leur tenant tête. J'étais un peu petit con, assez insolent. Mais c'est seulement parce que je m'ennuyais, c'est tout", raconte-t-il à VSD.

C'est encore pour tuer l'ennui qu'il répond, à 15 ans, à une annonce de casting parue dans France Soir, le journal de chevet du paternel. Bingo ! A la fin des quinze jours passés sur le tournage de L'Enfant et le président, de Régis Milcent, il comprend que l'école ne sera jamais son terrain de jeu préféré. "Ce que j'avais vécu était tellement fort que j'ai alors l'impression que tout ce qui ne va pas mener à réitérer cette expérience est inutile. Donc, je rejette les cours de manière viscérale", développe-t-il dans Paris Match.

Pour lui, l'école se termine en seconde. Ses parents, marchands de biens, ne le dissuadent pas. "Ils ont vu que j'étais déterminé et très débrouillard", justifie-t-il dans Le Parisien. L'ex-lycéen du XVIe arrondissement intègre le cours Florent, situé près de Stalingrad, dans le nord de la capitale. "Moi qui vivais sous cloche, du genre à me faire dépouiller de mes Weston à la sortie de Saint-Jean-de-Passy, ça m'a fait un choc", s'amuse-t-il dans Le Monde.

Pour celui qui n'allait pas ni au théâtre, ni au cinéma durant ses jeunes années, mais qui cite volontiers Louis de Funès, Michel Serrault dans La Cage aux folles, les films d'Alfred Hitchcock ou Jacqueline Maillant, la découverte d'un répertoire plus classique est un grand chambardement.

"Il n'avait pas le bagage culturel, comme beaucoup d'élèves, mais il a compensé par sa discrétion et son humilité."

Muriel Mayette-Holtz, ancienne prof de théâtre de Laurent Lafitte

à franceinfo

"Il n'était pas du tout sûr de lui. Il s'essayait au classique, à la tragédie, mais son sens du comique l'emportait au départ. Il s'est toujours remis en question pour élargir sa palette", retrace celle qui dirige depuis le théâtre de Nice.

Un one-man-show qui change tout

Si aujourd'hui, il alterne entre Don Juan sur les planches et Bernard Tapie sur Netflix et signe sa première réalisation, la comédie grinçante L'Origine du monde, Laurent Lafitte n'a pas tout de suite été en haut de l'affiche. Mais, il a toujours eu du travail en tant que comédien et n'a "jamais eu besoin d'avoir un boulot à côté", précise-t-il au quotidien belge Le Soir. C'est comme ça qu'on le retrouve notamment dans la sitcom Classe Mannequin, sur M6, au début des années 1990. Une expérience qui ne dure qu'une saison. "Sur le papier, ça me semblait bien. J'étais content, j'avais du boulot, j'ai pu prendre un appart. Et puis j'ai vu le résultat..." rigole-t-il dans Paris Match.

Il aspire à autre chose et après son passage au Conservatoire et se lance dans l'écriture de son one-man-show : Laurent Lafitte, comme son nom l'indique. "J'ai compris que ce que je dégageais de prime abord ne correspondait pas du tout à mon univers intérieur et qu'il allait falloir que je change ça si je voulais avancer. C'est pour cela que j'ai écrit et joué mon one-man-show : pour faire entendre ma voix et pour prouver ce que je valais en tant qu'acteur", justifie-t-il dans Psychologies Magazine.

Ce spectacle l'emmène très loin, notamment avec le personnage de Claude le fist-fuckeur. Mais c'est une révélation. Il lui ouvre les portes du plateau des Petits mouchoirs, le film choral de Guillaume Canet, puis celles de la Comédie Française où l'attire Muriel Mayette-Holtz en 2012. "C'est le seul de la troupe du Conservatoire à avoir osé à se confronter à un 'seul en scène'. Il en faut du courage", admire-t-elle.

"Il a l'air du gendre idéal, c'est un bon ami, il a un sens du comique hors pair, mais il est très complexe, il ne se révèle pas facilement. C'est un sensible inquiet, il n'est pas si lisse qu'il en donne l'impression."

Muriel Mayette-Holtz, ancienne prof de théâtre de Laurent Lafitte

à franceinfo

Dans Le Monde, Guillaume Canet se rappelle avoir pris "une claque" en voyant son spectacle et avoir "découvert un type cynique, corrosif, super intelligent". Aujourd'hui, la bande du Cap Ferret se retrouve sur les tournages des uns et des autres, se chambre et s'amuse sur les plateaux de télévision, à l'image de leur apparition dans l'émission "Burger Quiz" pour la promotion de la suite des Petits mouchoirs, Nous vieillirons ensemble. "Ils ont connu le succès en même temps, c'est une génération qui s'est magnifiée. Ils se faisaient rire les uns les autres en cours, mais ils n'étaient pas en rivalité", abonde Muriel Mayette-Holtz.

La célébrité très secrète

Libéré par ce succès et vu sous un nouveau jour, Laurent Lafitte a pu montrer de quoi il était capable sur le terrain de l'humour. En 2012, sur le plateau des César, il ose remettre le prix "du meilleur Français dans une actrice américaine" devant une Kate Winslet hilare. En 2016, au festival de Cannes, il lance, tout sourire, face à Woody Allen : "Ça me fait plaisir que vous soyez là, parce que ces dernières années, vous avez beaucoup tourné en Europe alors que vous n'êtes même pas condamné pour viol aux États-Unis." Une blague, écrite avec Vincent Dedienne, validée par Thierry Frémaux, le délégué général du festival, assure Le Monde, que n'ont guère goûté Roman Polanski, visé par la saillie, et sa femme Emmanuelle Seigner, qui qualifie Lafitte de "gros blaireau" sur Instagram.

Aujourd'hui encore, il ne regrette rien. "La seule chose que j'aie entendue, c'est : 'Ça ne se fait pas.' J'aurais aimé avoir un avis sur la vanne, que je continue de trouver drôle. Le reste, je m'en fiche. Je ne suis pas lanceur d'alerte", justifie-t-il dans L'Obs

"Mon père me disait : 'Tu tuerais ta mère pour un bon mot.' Non : je me tuerais moi-même pour un bon mot. C'est la prise de risque qui m'intéresse, pas le fait de blesser les gens."

Laurent Lafitte

dans "L'Obs"

Il ne veut pas choquer, il ose "juste pour le plaisir de la vanne", assume-t-il dans Tecknikart. Même avec ses amis proches, il fonctionne ainsi. Il est, avec eux, beaucoup plus prolixe qu'en interview sur sa vie privée. Fortune, choix politiques, sexualité... Du Laurent Lafitte intime, on ignore quasiment tout. L'homme sait botter en touche quand Libération le cuisine sur ces sujets.

Peu adepte des réseaux sociaux, il cultive la discrétion en interview pour ne pas casser l'imaginaire du spectateur, comme il l'explique dans Le Parisien : "J'ai grandi avec un cinéma dont on savait peu de choses, ni sur la façon dont il était fabriqué, ni sur les gens qui l'élaboraient, et ça me faisait beaucoup rêver. J'ai envie de la même chose."

"Je trouve plus important de mettre mon travail et mes choix en avant, plutôt que ma personne."

Laurent Lafitte

dans "Le Parisien"

Une personne qu'il cache désormais sous les traits de Bernard Tapie et qu'il dissimulera bientôt derrière un nez, un cap, que dis-je une péninsule, puisqu'il se frottera à une autre figure haut en couleur, sur les planches cette fois : Cyrano de Bergerac.

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