"Pouchkine a été utilisé par absolument tous les pouvoirs" : les vols de livres du plus grand poète russe, un mystère au parfum politique
Qui en veut aux œuvres originales d'Alexandre Pouchkine, conservées dans les bibliothèques d'Europe ? Depuis un peu moins de deux ans, plusieurs bibliothèques en France, dont la BnF (Bibliothèque nationale de France), mais aussi en Pologne, en Suisse et en Lituanie, ont vu disparaître, volés ou remplacés par des fac-similés, des dizaines d'œuvres originales datant du vivant du plus grand poète et écrivain russe, mort en 1836. Des forfaits réalisés par une équipe très organisée, attirée par la valeur des ouvrages volés (plusieurs centaines de milliers d'euros) mais peut-être pas seulement.
Après des vols à Lyon, Vilnius, Varsovie, à la BnF de Tolbiac, leur tournée européenne amène les malfaiteurs début octobre à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, dans le 13e arrondissement de Paris. Mais là, ils feront chou blanc. Prévenue par des collègues victimes de vols semblables, Aglaé Achechova, la responsable du fonds russe a mis à l'abri les œuvres de Pouchkine. "C'est par défaut qu'ils ont pris des ouvrages sans valeur marchande qui étaient dans la salle de réserve, raconte-t-elle. Ceux qui étaient visés, c'étaient les éditions originales d'Alexandre Pouchkine, le poète russe, le fondateur de la langue littéraire russe."
Une possible motivation "patriotique"
En bonne ancienne responsable de la maison Pouchkine à Saint-Pétersbourg, notre bibliothécaire va mener sa petite enquête sur la destination des livres volés un peu partout en Europe. "On sait déjà qu'à Moscou, on a vendu au moins un livre dérobé à Varsovie, en Pologne, rappelle Aglaé Achechova. On ne peut pas exclure une certaine motivation 'patriotique' pour récupérer Pouchkine qui est gardé dans cette Europe jugée décadente."
La conservatrice penche pour des vols sur commande de la part de collectionneurs russes proches du pouvoir. Pour André Markowicz, traducteur de Pouchkine en français, tout ce qui touche au plus grand écrivain russe a forcément une dimension politique. "Pouchkine a été utilisé par absolument tous les pouvoirs. Pas simplement Poutine, le pouvoir soviétique a utilisé Pouchkine, et même les 'Blancs' monarchistes. Donc Poutine utilise évidemment Pouchkine !"
L'affaire coïncide avec la guerre en Ukraine
Sans imaginer une seconde que ces vols soient une vengeance posthume, le meilleur connaisseur de Pouchkine rappelle que l'écrivain fêtard, joueur, séducteur, rebelle et courtisan à la fois, est mort dans un duel au pistolet, tué par le baron d'Anthés, un Français qui avait séduit sa femme. "En 1836, il cherchait le duel, et aucun Russe n'a accepté de se battre avec lui, rappelle André Markowicz. Pourquoi il y a eu d'Anthès ? Parce que d'Anthès était un imbécile ! Et qu'il pensait que Pouchkine était simplement le mari de sa femme. C'est pour ça qu'il a été tué par un Français."
Tout aussi troublant, les vols ont commencé en même temps que la guerre en Ukraine. Dans ce pays, les statues de Pouchkine sont déboulonnées et ses rues débaptisées, même si le poète avait célébré les charmes de la ville d'Odessa, où il avait trouvé refuge durant sa disgrâce.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.