Tunisie: le musée, lui aussi, fait sa révolution
« Le Bardo a pour mission de raconter et d’expliquer au peuple tunisien sa très longue histoire et les éléments de son identité culturelle », explique son conservateur en chef, Taher Ghalia. Une histoire qui se perd dans la nuit des temps, se poursuit avec Carthage et les Numides, les Romains, les Byzantins, l’islam, les Espagnols, les Turcs, les Français…
Jusque-là, l’établissement mettait surtout l’accent sur l’époque romaine au détriment, notamment, de la période islamique. D’une part en raison de l’importance des ruines romaines en Tunisie. « Mais aussi parce que le musée était pris d’assaut par les archéologues antiquisants formés à l’école orientaliste. Quelque part, c’est un peu l’héritage de la colonisation », souligne le responsable.
Aujourd’hui, la construction d’un nouveau bâtiment, qui va permettre de doubler la surface du Bardo (de 13.000 à 23.000 m2), est l’occasion de rééquilibrer la présentation des périodes. « Nous entendons davantage mettre en valeur la période musulmane. Il ne faut pas oublier que l’islam est par définition notre identité », explique Hana Ouaz, conservateur du département islamique. La nouvelle collection présentera ainsi 300 objets (dont un très fameux « coran bleu », datant de la fin du IXe siècle-début du Xe), au lieu de 60 dans l’ancien Bardo.
« N’y voyez pas l’expression d’un quelconque nationalisme !», tient à préciser Taher Ghalia. « Nous voulons donner une vision plus large que celle procurée jusque là. Il s’agit de montrer l’ancrage en Afrique de la Tunisie, qui, dans le même temps, a donné des civilisations méditerranéennes importantes comme Carthage ».
« Intérêt stratégique pour l'identité tunisienne »
« Dans un pays comme le nôtre, qui est en pleine évolution, les mentalités évoluent. Chacun cherche sa place », constate Hana Ouaz. Ce qui engendre des questions auquel un établissement comme le Bardo entend contribuer à répondre. « Le climat démocratique va nous permettre de raconter notre histoire sans aucune censure », estime Taher Ghallia.
Pour autant, le responsable du musée reconnaît qu’au temps de l’ancien régime, il n’avait pas de problème sur le plan scientifique. « Mais il n’y avait pas de volonté politique pour porter ce projet éducatif et culturel, pour le légitimer auprès de l’opinion public. Les dirigeants de la dictature n’en comprenaient pas l’intérêt stratégique pour l’identité tunisienne », explique le conservateur en chef. Au-delà, il n’y avait pas d’intérêt pour sauvegarder le patrimoine national. « Celui-ci n’était qu’un décor !», regrette M. Ghalia. Un décor mais aussi une source de revenus pour le clan Ben Ali-Trabelsi, entre déclassements de terrains pour des opérations foncières à Carthage (banlieue chic de Tunis) sur un site pourtant protégé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, et trafics d’antiquités…
L’époque de la dictature est révolue. « Aujourd’hui, nous pouvons aller au-delà des intérêts particuliers et agir pour que le patrimoine devienne un outil de développement. Notamment grâce à un musée digne de ce nom », souligne son responsable.
Une mosaïque... ambassadrice
De ce point de vue, le Bardo, et au-delà la Tunisie, ont trouvé une ambassadrice plutôt inattendue : une… mosaïque. Mais pas n’importe laquelle. Il s’agit en l’occurrence d’une des très rares représentations du poète latin Virgile, auteur de l’Enéide, la fameuse épopée. Une représentation « proche de la réalité », selon M. Ghalia. La mosaïque a été prêtée pour une exposition organisée à Mantoue (Italie), cité natale du poète, à l’occasion du 150e anniversaire de l’Italie. Elle figure d’ailleurs sur l’affiche de ladite exposition.
« Ce chef d’œuvre prouve le haut niveau culturel des élites africaines à l’époque romaine, qui ont pris une grande part dans la latinité. Avant la révolution, ce chef d’œuvre ne serait jamais parti. Comprenez bien la signification de l’évènement : pour nous, c’est comme quand le Louvre prête la Joconde au Japon ! Derrière ce prêt, il y tout un symbole. Dans l’Enéide, le héros, Enée, vient à Carthage où il tombe amoureux de Didon, la reine de la cité. Nous y voyons donc un symbole de concorde entre les peuples des deux côtés de la Méditerranée ! », explique le conservateur en chef. L’expression aussi des espoirs de la Tunisie démocratique…
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