Marseille : la Cité radieuse fête ses 60 ans
Un échafaudage masque encore en partie la façade de l’immense bloc de béton brut sur pilotis géants, surnommé "la cité du fada", installé depuis six décennies au cœur d’un quartier résidentiel du sud de la ville.
A l'intérieur, dans les sombres couloirs (baptisés "rues"), des murs ont été noircis par le feu qui a totalement détruit dans la nuit du 9 au 10 février huit logements et plusieurs chambres de l'hôtel.
Jacques Delemont, président de l'association des habitants, s'affaire dans son appartement ravagé par les fumées et l'eau déversée par les pompiers. Comme une vingtaine d'autres résidents, il n'a toujours pas réintégré son domicile.
Une célébration a minima
Arrivé à la Cité radieuse en 1968, ce retraité n'a pas trop la tête à la fête, alors que le célèbre immeuble célèbre les 60 ans de son inauguration, le 14 octobre 1952, par le ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, Eugène Claudius-Petit.
Le programme se limitera quelques activités samedi, avec notamment la reconstitution sur le parvis par les habitants d'un "Modulor", une mesure définie par l'architecte, fournie par la taille d'un homme le bras levé (2,26 m) et qui a servi de base à la construction.
Ce "village vertical" qui a déchaîné les passions, on ne s'y installe pas "par hasard", relève Jacques Delemont. Les "bobos" ont peu à peu remplacé les locataires des débuts - l'ensemble à vocation sociale fut d'abord habité par des sinistrés et des fonctionnaires avant d'être rapidement vendu par l'Etat en copropriété.
Les médecins et les architectes ont remplacé les commerces
"Après, on y reste parce qu'on découvre la vie au ‘Corbu’", poursuit-il, avec ses espaces collectifs, dont le superbe toit-terrasse et l'école maternelle, mis à la disposition des occupants des quelque 300 appartements. Une "vraie sociabilité", de l'avis de tous, qu'on ne retrouve pas ailleurs. Même si le pâtissier André Muller regrette, dans sa petite boutique d'un autre temps, l'époque florissante.
"Il y avait beaucoup de va-et-vient et on travaillait bien", raconte son épouse Christiane, évoquant les nombreux commerces disparus (droguerie, boucherie, salon de coiffure, supérette...). Aujourd'hui, ils sont un peu esseulés au milieu des cabinets d'architectes, galeries d'art et médecins.
Gisèle Moreau, arrivé au "Corbu" en 1953 à l'âge de 10 ans, se souvient du "coup de foudre" de sa mère pour ces appartements lumineux, avec vue sur mer et montagne, à l'isolation phonique exceptionnelle et au confort "révolutionnaire". Elle-même avait "sa bande de copines sur place" et "pour rien au monde elle ne serait partie vivre dans une villa". Revenue comme jeune mariée, elle a assisté à "l'évolution de l'immeuble qui correspond assez bien à l'évolution de la société", dit-elle, vers plus d'individualisme.
Un lieu vivant ou un musée ?
"Ce bâtiment tel qu'il est conçu permet une vie collective, mais est-ce que les gens ont envie de la partager?", résume la libraire-éditrice Katia Imbernon, attachée à ce que cette "unité d'habitation" expérimentale, classée monument historique en 1995, soit un ensemble "vivant" avant d'être "un musée".
"On essaie de résister", renchérit Dominique Gérardin, responsable de l'hôtel-restaurant, dont l'activité a été très touchée par l'incendie. La Cité radieuse, "on en est raide dingue", assure cette dynamique ancienne juriste. Nombreux sont les visiteurs étrangers, fans d'architecture, venus notamment du Japon, et "quand je vois qu'ils ont traversé le monde pour dormir ici, c'est la plus belle des récompenses !"
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