Le domaine de Chantilly, privé de recettes, demande à l'Etat de l'aider
Le domaine de Chantilly, dont le statut particulier ne lui permet pas de bénéficier des aides publiques, demande à l'Etat de l'aider pour surmonter la crise.
Le domaine de Chantilly (Oise), qui possède la deuxième plus grande collection d'art ancien de France, en grande difficulté financière faute de billetterie, avait lancé une campagne de dons. Elle est insuffisante et il en appelle aujourd'hui à l'Etat pour le sauver. Etablissement public au statut très particulier, il ne bénéficie pas des aides attribuées à d'autres établissements, publics ou privés.
Avec la crise sanitaire, le domaine de Chantilly s'est transformé en belle endormie, qui en appelle à l'Etat pour le sauver. Cinq mois de fermeture en 2020 ont occasionné 5 à 6 millions de pertes. L'ardoise s'allonge chaque jour un peu plus : énormes frais d'entretien, de chauffage. Charges pour les 130 salariés, des conservateurs aux palefreniers. Aucune billetterie. Les 130 spectacles équestres annuels annulés...
Chantilly qui s'enorgueillissait d'avoir 450 000 visiteurs par an, dont 30% d'étrangers, "en appelle au gouvernement, au président de la République", souligne à l'AFP Christophe Tardieu, son administrateur général. Il a lancé sur internet une collecte inédite qui a déjà rapporté 100 000 euros. Des dons bienvenus mais complètement insuffisants.
La trésorerie à zéro en avril "si nous continuons ainsi"
"On ne peut imaginer que ce trésor national et international soit abandonné", s'émeut Mathieu Deldicque, conservateur du patrimoine, qui parcourt l'exposition présentant des porcelaines de Meissen (Allemagne) et de Chantilly, qu'il a obtenu de prolonger jusqu'à fin août, grâce à des prêteurs "très solidaires". Le domaine abrite un centre équestre et, dans son château, le Musée Condé, avec la deuxième collection d'art ancien de France (des Très riches heures du Duc de Berry à une collection de tableaux inestimables, dont plusieurs Raphaël).
"Notre trésorerie en avril sera quasiment à zéro si nous continuons ainsi. Nous sommes dans le trou de la raquette (des aides)", se lamente Christophe Tardieu. Car le statut très particulier du domaine de Chantilly, l'empêche d'avoir le même soutien que les autres grands domaines de l'Etat ou de bénéficier de mesures d'aides du plan de relance. Ne dépendant pas du ministère de la Culture et n'étant pas une propriété privée, il sort du cadre des aides d'urgence.
Car Chantilly appartient à l'Institut de France. C'est à lui qu'Henri d'Orléans, duc d'Aumale (1822-1897), collectionneur et bibliophile passionné, a légué en 1886 l'immense domaine, son château, ses annexes et toutes ses collections.
Un statut très particulier
Et "l'Institut de France est un établissement public sui generis. Nous ne pouvons bénéficier des mesures qui ont été prises pour les châteaux privés (Vaux-le-Vicomte, Chenonceau,...) -prêt garanti par l'Etat, chômage partiel...-, parce que nous sommes une structure relevant du domaine public. Mais n'appartenant au ministère de la Culture, nous ne pouvons bénéficier des mesures du plan de relance comme l'Opéra, Versailles, le Louvre, Chambord...", explique Christophe Tardieu.
Pour ne rien arranger, selon le legs, très précis, les milliers d'objets et tableaux ne peuvent voyager, être prêtés, vendus. L'accrochage des tableaux, à la manière ancienne, très chargée, ne peut être modifié. Des acquisitions sont possibles mais "sans pouvoir faire aucun échange". En outre, "aucun changement dans l'architecture extérieure ou intérieure" n'est possible. Le duc d'Aumale avait établi ces conditions qui devaient être respectées à jamais, et qui empêchent aujourd'hui les prêts et l'organisation d'expositions à l'extérieur, source de ressources pour les châteaux et musées. Et puis en 2020 Chantilly a perdu le soutien de l'Aga Khan (70 millions d'euros depuis 15 ans).
Au château, le travail continue
Pendant ce temps, de nombreuses tâches doivent continuer d'être assurées : on restaure des portraits de Jean Clouet, peintre du XVIe siècle. On pourra enfin s'attaquer au grand chantier de la Bibliothèque du Théâtre, empoussiéré. Il y a l'entretien de l'immense parc de 115 hectares. Il y a la sécurité, les rondes de nuit, car des carpes et des cygnes ont été volés...
Dans la galerie, la guide-conférencière Marie-Paule Mallard répète un exposé de quatre minutes présentant le chef-d'oeuvre de Nicolas Poussin Le Massacre des innocents. Il sera enregistré sur le site internet, notamment à destination des scolaires. Chantilly met en ligne une vidéo par jour : "Pour fidéliser les gens, et pour que ceux qui nous aiment ne nous oublient pas", dit-on au château.
Aux Grandes Ecuries où le musée du cheval reste porte close, l'écuyère Sophie Bienaimé entraîne les chevaux. "Ils sont sidérés de voir du monde, ça les met en joie ou leur fait peur. Si les spectacles reprennent, il va nous falloir les réhabituer !"
"La solution la plus simple, plaide Christophe Tardieu, est que l'Etat nous accompagne dans cette période particulière. Comme il accompagne toutes les grandes institutions culturelles, publiques ou privées ! Nous ne lui réclamons pas d'argent en temps normal, le château pouvant être parfaitement équilibré d'un point de vue budgétaire". Des discussions sont en cours à l'Elysée, le chef de l'Etat étant "le protecteur de l'Institut" dont Chantilly est une des propriétés, rappelle-t-il.
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