La révolte des Canuts se raconte en étoffes au Musée des Tissus
A l'heure où l'on reparle de l'excellence française et de la nécessité de mettre en valeur la production hexagonale, l'histoire de la révolte des Canuts ne peut que nous interpeller. Dans les années 1830, la majorité de la population lyonnaise travaille pour la Fabrique. La renommée de la ville n'est plus à faire mais cela n'empêche ni le chômage ni la concurrence étrangère, notamment anglaise, de sévir. Les soies du Royaume-Uni sont importées librement poussant les Canuts à réclame une taxe sur ces importations.
Mais les difficultés sont aussi internes à la corporation. Canuts, compagnons et chefs d'atelier travaillent pour le compte des soyeux, des patrons négociants, qui régentent le marché et notamment les tarifs. Le salaire des ouvriers n'est jamais garanti et n'est fixé qu'à la livraison de l'ouvrage. En clair, si le résultat ne plaît pas, l'ouvrier n'est pas payé.
Face à cette situation, chefs d'atelier et Canuts vont s'associer pour obtenir un tarif minimum pour la façon. En octobre 1831, ils saisissent le conseil des Prud'hommes qui ne statuera pas. Une inertie qui va conduire les Canuts à se mettre en grève en novembre. Ils occuperont la presqu'île pour faire face à la Garde Nationale. Ces premiers affrontements déboucheront sur une victoire des Canuts. Mais elle sera de courte durée. Désorganisés, ils n'arriveront pas à empêcher une autre offensive des forces de l'ordre.
On pourrait penser que durant ces événements dramatiques qui ont fait des centaines de morts de part et d'autre, la production lyonnaise allait connaitre une interruption voire un déclin. Il n'en fut rien. Dans les ateliers, le travail a toujours continué pour produire des étoffes de belle qualité.
Pour preuve, la trentaine de pièces exposées au Musée des Tissus qui couvrent une période qui va de 1825 à 1845. Parmi elles, certaines ont été produites pendant cette période tendue. C'est le cas de ce drapeau français (voir en tête d'article) de la maison Lemire et Cie ou encore de ces tissages réalisés pour la famille royale avec des décors très élaborés.
"A l'époque", raconte Dorothée Lécrivain, la commissaire de cette exposition, "le Préfet avait supplié le Garde-Meuble royal de passer une grosse commande à hauteur de 640 000 francs, pour relancer les fabricants lyonnais et "calmer" les canuts".
On est frappé par la délicatesse et la finesse des tissus exposés. Une délicatesse bien à l'opposé de l'âpreté de la vie et des combats d'alors.
Malgré leurs conditions de travail difficiles, les Canuts n'ont jamais mis à mal la qualité même au plus fort de la révolte.
Pour Dorothée Lécrivain, "les Canuts étaient assez fiers. Ils voulaient montrer leur savoir-faire et prouver qu'ils étaient indispensables à la Fabrique. D'où leur volonté de continuer à produire pour préserver la renommée de Lyon comme capitale de la soierie".
Mais au-delà de leur talent, les Canuts lyonnais ont aussi sans forcément en avoir pleinement conscience, ouvert une autre brèche. Leur révolte a été le point de départ d'un mouvement de plus grande ampleur, celui d'une classe ouvrière qui a réalisé qu'en unissant ses intérêts, elle pouvait revendiquer le droit à une vie meilleure.
Et le titre de l'exposition ?
"Tisse toujours, ton étoffe est ton drapeau !". Ce titre est une référence directe à la chanson écrite par Pierre-Jean Béranger, un célèbre chansonnier. Ce républicain convaincu se servit de la musique comme d'une arme politique. Il composa "A ma lisette !" lors de la révolte des Canuts, pour soutenir le mouvement et encourager les ouvriers à poursuivre leur travail envers et contre tout. La première strophe disait ceci :
"Ma lisette, ô toi que j'aime !
Quel sort, hélas, te poursuit !
Tu crus au bonheur suprême,
Ce bonheur s'évanouit,
Des grands la voix discrète
A prédit un prix nouveau ;
Tisse toujours, bonne lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau"
"Tisse toujours, ton étoffe est ton drapeau !" au Musée des Tissus -34 rue de la Charité - 69002 Lyon - ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h à 17h30 - entrée 10€ (8€ après 16h)
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