Journées du patrimoine à Lyon : détours par la case prison
Dès la traversée des parloirs, très exigus, naît une sensation d'oppression. Dans les minuscules cours de promenade, on découvre les "suicidés" d'Ernest Pignon-Ernest. Inspiré par la force dramatique des lieux, le plasticien, figure de l'art urbain, a recouvert les murs de silhouettes macabres. "Je glisse mes images dans des lieux pour faire ressurgir des images qui ont disparu. Ici, ce sont des images d'anonymes en souffrance. J'ai symbolisé l'humanité déchirée comme ces morceaux de tissus coincés dans les barbelés." Ces images, glaçantes, sont malheureusement réalistes : beaucoup (trop) de détenus se donnent la mort en prison.
Voir l'installation d'Ernest Pignon-Ernest et des autres artistes dans le reportage de France 3 Lyon :
Après avoir passé la rotonde, autrefois point névralgique de la maison d'arrêt, on pénètre au coeur de la "marmite du diable", comme l'appelait les prisonniers. L'endroit est désaffecté. Georges Rousse donne une nouvelle dimension au sinistre couloir de détention en y suspendant un énorme cercle rouge (voir photo plus haut). Dans les cellules du rez-de-chaussée sont exposées la plupart des oeuvres, éphémères ou non.
Patrice Giorda les a peuplé de portraits de détenus qu'il a dessinés et peint en 1992, lors du projet collectif "Complicités d'évasion". L'artiste lyonnais se souvient avoir rencontré "des gens dans des positions difficiles, qui étaient assez durs, avec un regard pas particulièrement gentil, ils étaient bruts. Mais travailler dans ces lieux m'a permis de me confronter à moi-même. Et cela a été fondateur car j'ai continué à faire du portrait dessiné par la suite." Giorda expose également ses peintures récentes, parmi lesquelles une grande composition dans l'une des cours de la prison, témoignage de la lumière et de l'enfermement.
Pierre Gangloff, quant à lui, a imaginé une série de cadres lumineux renfermant des photos de "Google Street" qu'il a peintes par la suite. Il a mis de la distance entre la prison est lui. "C'était une expérience indicible pour moi, d'être prisonnier. Je préférais parler de l'extérieur, d'une utopie, d'un rêve. J'ai parlé du soleil sur les passants du cours Suchet... pour contraster avec l'obscurité des lieux."
Vite de l'air ! La visite se poursuit dans la cour réservée au sport, où l'on découvre l'installation sonore de Perrine Lacroix. L'artiste a voulu rappeler tous ces bruits que les détenus devaient entendre et qui amplifiaient leur désir de voyage et de liberté : les trains passant sur la voie ferrée toute proche, les annonces de la SNCF sur les quais de la gare de Perrache, les voitures roulant sur l'autoroute... "Certains détenus de Corbas (la plupart des prisonniers de Saint-Paul y ont été transférés en 2009) regrettent d'être isolés de la ville", témoigne-t-elle.
"Visiter une prison désaffectée et prétendre ressentir ce que ressentaient les détenus au quotidien, c'est complètement illusoire", commente Alain Loeb, ancien directeur de l'enseignement de la prison. "Une maison d 'arrêt, c'est une gare de triage où des détenus sont envoyés du Palais de justice... et dans l'attente d'un jugement, ils sont là ! Ils vivent, on distribue de la bouffe, on fait du ménage dans les couloirs, on va à l'infirmerie, on va au parloir des avocats, au parloir des familles, on va au sport et on va en classe. Donc il y a un énorme brassage et il y a des cris toute la journée et toute la nuit malheureusement... Il y avait tellement de brouhaha à l'intérieur qu'à part l'annonce des trains, je pense que les détenus n'entendaient pas les bruits extérieurs à la prison."
Second passage (obligé) par la rotonde. Libérateur, le gigantesque cercle noir de Georges Rousse indique que la sortie est imminente... Cette immersion volontaire dans l'univers carcéral aura duré moins d'une heure. Mais avant de partir, il faudra croiser un nouveau "suicidé" de Pignon-Ernest, placé tout près d'un mur sur lequel est inscrite une citation de Victor Hugo : "Ouvrir une école, c'est fermer une prison". Si seulement cela pouvait être possible...
La prison disparaît, la mémoire reste
Désaffectées depuis 2009, les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph seront démolies pour construire d'ici 2015 un complexe immobilier et un campus universitaire. Quand les murs tomberont, c'est un pan d'histoire qui s'envolera... Des milliers de personnes ont été enfermées là, comme le rappelle le reportage de Fabrice Cagnin et Mathieu Boudet :
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.