Débarquement de Normandie: un récit plus réaliste grâce à l’archéologie
Un casque de tankiste britannique noirci, signe que son propriétaire est probablement mort dans l’incendie de son char Sherman. Un débris d’obus incendiaire allemand qui a explosé. Autant d’objets, recueillis lors de fouilles et exposés dans le dépôt caennais de l’Institut national d’études archéologiques préventives (Inrap). "Par leur côté rouillé, déchiqueté, ils renvoient à la violence des combats" de juin et juillet 1944, observe Vincent Carpentier, chercheur à l’Inrap.
Les faits sont connus. Mais pas toujours dans le détail. "L’archéologie, balbutiante dans ce domaine, rattrape un certain retard. Croisées avec des photos aériennes de l’époque et les journaux de marche des unités, les fouilles permettent de rentrer dans le détail du conflit. Les vestiges deviennent ainsi un support de recherche à part entière", explique le chercheur.
Ils permettent de s’affranchir de l’émotionnel, des récits parfois fragiles des témoins. Exemple anecdotique mais significatif: "Certains civils, présents lors des combats impliquant la 6e Airborne, ont affirmé avoir entendu des criquets", raconte Vincent Carpentier. Ces petits objets, qui permettaient aux militaires de se reconnaître en imitant le bruit de l’insecte, furent popularisés par le film Le jour le plus long (1962) de Ken Annakin et Andrew Marton. Sauf que les archéologues de l’Inrap n’ont retrouvé que… des appeaux à canard, effectivement utilisés par les Britanniques! En fait, seuls les parachutistes de la 101e Airborne américaine, qui se sont battus vers Saint-Mère Eglise (Manche), eurent recours au fameux criquet...
Problème pour les fouilles : les sites des batailles ont été nettoyés, déminés après la guerre. On a remblayé, enseveli les décombres, effaçant ainsi maintes traces de combats. Des milliers de tonnes de débris métalliques ont été récupérés. Par la suite, l’extension de l’urbanisme a contribué, elle aussi, à faire disparaître les vestiges.
Les blockhaus du mur de l’Atlantique
Les bunkers installés le long de l’embouchure de l’Orne émergent parfois à peine des buissons qui couvrent les dunes, propriété du Conservatoire du littoral. "Aujourd’hui, ce sont les seules traces du conflit qui subsistent dans le paysage. En 2015, nous avons commencé à faire un inventaire des 3000 bunkers recensés dans les départements de la Manche et le Calvados", raconte Benoît Labbey, de la DRAC. D’année en année, ces bâtiments de béton, aux traverses de bois toujours en place, se dégradent un peu plus. Ils livrent pourtant toujours des détails surprenants. Comme ce graffiti allemand, indiquant des données balistiques, où l’on distingue encore nettement, 78 ans après les faits… un phare surmonté du chiffre 1575!
Pegasus Bridge à Bénouville
Le lieu, là encore immortalisé par Le jour le plus long (où l’on voit un joueur de cornemuse traverser le pont sous les tirs), est aujourd’hui un symbole de la bataille: "C’est le premier village de France libéré", rappelle Vincent Carpentier. Au petit matin, le major John Howard, de la 6e Airborne britannique, atterrit près de là avec six planeurs pour, notamment, s’emparer des deux ponts de la localité.Un diagnostic archéologique a révélé sur ce site capital l’emplacement d’un poste de commandement britannique. "Nous avons aussi retrouvé quelques restes de planeurs, notamment des éléments de cocarde", raconte Vincent Carpentier. Ces appareils étaient fabriqués en balsa (bois très léger), leur armement était en aluminium. "C’était des prototypes top secret qui n’ont servi que pour des objectifs très ciblés en Normandie et aux Pays-Bas", observe l’archéologue. Leurs ailes fracassées, renforcées par des caisses de munitions, ont servi… d’abris aux soldats.
Un peu plus tard dans la même journée du 6 juin, 300 autres planeurs se posent à Ranville, à moins de 3 km de là, avec chacun plusieurs dizaines d’hommes à bord et leur armement. Pourtant, les champs de blé étaient alors truffés d’"asperges de Rommel", pieux de bois plantés dans la terre pour empêcher ce type d’atterrissage. Aujourd’hui, des lotissements grignotent l’espace, là où il n’y avait en 1944 que quelques maisons. "Outre des restes de planeurs, nous avons retrouvé des bouées de sauvetage et du matériel d’assaut, comme des capuchons de grenade", détaille Vincent Tessier, archéologue à l’Inrap.
Batterie allemande de Merville
Le site est attaqué dans la nuit du 5 au 6 juin par 150 parachutistes britanniques. Les affrontements ont été acharnés, comme l’ont confirmé les fouilles. "On découvre des cratères d’obus de 3 à 4 m de profondeur. C’est un peu la lune !", raconte Vincent Tessier. Les archéologues ont retrouvé des fusées d’obus tirés depuis des navires au large. Une seule balle de mitrailleuse Vickers a été déterrée. La rareté sur les lieux de ce type de munition tend à prouver que les assaillants ne disposaient que d’une seule arme de ce genre."En apportant de tels détails, nous pouvons comprendre comment les unités se sont déployées. A Blainville, nous avons constaté que les canons britanniques étaient tournés vers l’est : ceux qui les servaient ne disposaient pas d’information sur le déroulement des combats. Ainsi, nous participons au récit de la bataille. A partir du terrain, nous pouvons parfois contredire la vérité officielle. Et éviter ainsi l’héroïsation de l’histoire", constate le chercheur de l’Inrap. Le soldat Ryan, film de Steven Spielberg (1998), décrit mieux une certaine réalité que Le jour le plus long... Les fouilles archéologiques permettent parfois aussi de documenter la face sombre de l’évènement : viols, traitement des prisonniers... N’en déplaise au fameux vers (incompris) d’Apollinaire, la guerre est tout sauf "jolie"...
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