14/18 : sur la route de la mémoire de Verdun au Sénégal
La première guerre mondiale a fait plus de dix huit millions de victimes dont plus de la moitié étaient des soldats. Ceux qui sont revenus de l'enfer ont souvent eu du mal à raconter cette période de leur vie. Mais ceux qui l'ont fait ont laissé des photos, des cahiers, des objets : autant de cailloux sur le chemin de la mémoire collective. Une équipe de France 2 est allée à la rencontre d'enfants ou petits-enfants de combattants qui évoquent cette terrible page de l'histoire et qui, de Verdun à Thiès au Sénégal, entretiennent le souvenir.
Une série réalisée par A. Guery, J-M. Lequertier, H. Gasparini, F. Prigent
Episode 1 : sur la route de la mémoire
Où l'on rencontre les descendants de deux protagonistes du conflit, un Français, Louis Mabille de Poncheville et un Allemand, Franz Josef Sauter. Le petit-fils du premier a découvert sept carnets manuscrits tenus par son grand-père, alors qu'il n'avait que 19 ans pendant le conflit. "Ce qui me marque c'est sa grande lucidité et une grande honnêteté".Peter Sauter, lui, vit en Suisse, hanté par les photos et les objets rapportés par son père qui a combattu à Verdun : le casque à pointe, la croix de guerre et une baïonnette, "l'instrument le plus horrible" qu'il n'aime pas toucher : "C'est un instrument à tuer. je ne l'ai jamais nettoyé. S'il y a du sang dessus c'est du sang français et ça me terrifie." Franz Josef Sauter est revenu de l'enfer de Verdun, s'est marié et a eu ses enfants à 57 ans. Longtemps après il hurlait encore pendant la nuit. Aujourd'hui son fils se rend deux à trois fois par an à Verdun à la rencontre de ces Français que son père appelait des voisins et non des ennemis.
Episode 2 : sur la route de Verdun
Le périple de Peter Sauter en France commence toujours en Alsace. Muni d'une carte et d'un journal de guerre, il identifie tous les lieux où son père a été stationné. Il fait du porte à porte pour questionner les anciens.En 1916 pendant neuf mois et vingt-sept jours Verdun a été le théâtre de la bataille la plus sanglante de la guerre. Louis Mabille de Poncheville était là avec ses hommes. Son petit-fils marche sur les pas de ce grand-père sorti de l'enfer gravement blessé. Une souffrance qu'il a confiée à ses carnets pour ne plus jamais en reparler.
"Un jour que je me plaignais d'avoir mal à la rotule, le médecin m'a répondu sèchement : vous n'avez plus de rotule"
Louis Mabille de PonchevillePlus de cent ans après, la terre de Verdun regorge toujours d'objets et d'obus qui n'ont pas explosé. En parcourant les bois qui recouvrent aujourd'hui le champ de bataille, Peter Sauter se souvient du récit fait par son grand-père de sa très grave blessure au ventre.
La route de la mémoire nous emmène loin de Verdun, précisément au Sénégal où, il y a cent ans, Bakary Diallo s'engageait dans l'armée française juste avant le conflit. Il y a quarante ans, il gardait un souvenir vibrant de sa fascination pour les bataillons de tirailleurs. Son fils lui rend hommage chaque année à la même époque en réunissant ses descendants.
Episode 3 : une mémoire qui se partage
Les héritiers de Bakary Diallo affluent de tout le Sénégal et même de l'étranger dans la ville de Thiès près de Dakar. Le fils du tirailleur les accueille tous pour évoquer la mémoire de cet ancêtre qui a combattu pour la France. "Il a été blessé, on lui a fracassé la mâchoire, on lui a presque sectionné la langue." Bakary Diallo, la gueule cassée, a dû être opéré 13 fois. A son retour au pays il a voulu transmettre son amour de la France en donnant à ses enfants le prénom de ses amis français. C'est pour ça qu'il y a des Solange, des Michel dans la famille Diallo.
A plus de 4000 kilomètres de là, un musée de Montmartre conserve 1300 dessins réalisés par des enfants de 1914. Des enfants qui mettaient sur le papier la violence et la mort Parmi eux André Jolivet dont la fille a découvert les dessins il y a peu. L'un d'eux représente un corbeau dévorant le corps d'un soldat : "C'est le plus violent des dessins de mon père. La première fois que je l'ai vu, ça m'a hanté parce que c'est l'image de la guerre, de la haine". Christine Jolivet se rend à l'école de son père, pour transmettre et pour expliquer.
A Verdun, Peter Sauter retrouve celui qui l'a aidé à localiser les traces de son père. Des Français et des Allemands main dans la main pour évoquer le souvenir de Fleury-devant-Douaumon, l'un des sept villages français entièrements détruits.
Episode 4 : la mémoire des combattants
Les drapeaux français et allemand flottent sur le fort de Douaumont à Verdun. Des militaires allemands marquent une minute de silence pour les neuf millions de vicitmes du conflit. Ils pensent à l'avenir : "On doit être fiers de connaître la paix depuis 73 ans en Europe. C'est là-dessus qu'il faut se concentrer, exiger la paix de nos hommes politiques, de nos généraux et de nous autres soldats."
Au Nord, la ville de Lille se souvient de Louise de Bettignies. C'est elle qui, à la tête du plus grand réseau d'espionnage de la première guerre, a oeuvré dans l'ombre pour la paix. "La reine des espions" comme la surnommaient les Anglais n'a pas eu d'enfants. Son petit-neveu rappelle qu'elle a failli tomber dans l'oubli, vraisemblablement parce que c'était une femme : "C'était mal vu dans ma famille et même encore aujourd'hui". Il ravive sa mémoire auprès de ses enfants et petits-enfants. Arrêtée pendant la guerre, Louise de Bettignies est morte en captivité en septembre 1918 en Allemagne.
A Genève les jeunes descendants de Bakary Diallo ont gardé la trace de leur aïeul grâce à un livre écrit par lui.
Episode 5 : sur la route de l'amitié franco-allemande
A la fin de la guerre, Bakary Diallo est rentré au pays dans le village de Thiès qui l'avait vu naître.Il était bien loin le jeune berger peul analphabète qui s'était engagé sous le drapeau français. Le jeune tirailleur est devenu écrivain en français et en peul. Mort en 1978, il repose aux côtés de sa mère qu'il voyait en rêves sur le champ de bataille.
En Afrique comme en France, les combattants de 14/18 ont laissé une empreinte indélébile. Patrick Descamps peint à partir des carnets de son grand-père Louis Mabille de Poncheville. Un homme qui n'avait jamais considéré les Allemands comme des ennemis mais plutôt comme des adversaires.
A l'école de Montmartre Christine Jolivet propose aux élèves d'analyser un dessin de son père pour parler du sentiment anti-allemand de l'époque. Cent ans après, le mot "boche" a disparu des cours de récréation.On n'utilise pas le mot boche parce que maintenant on est alliés avec l'Allemagne, on est en paix, c'est nos amis. Ce n'est pas parce que c'est un ennemi qu'il va le rester toujours."
Peter Sauter parcourt le cimetière de Verdun en compagnie de son ami Pierre Lénard : "Je ne suis pas toujours fier d'être allemand quand on plonge dans l'histoire et particulièrement ici. Je suis mal à l'aise. C'est douloureux !"
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