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Avignon Off 2018 : "Kamikazes", fantasmagorie familiale percutante
Auteur et metteur en scène, Stéphane Guérin ("Kalashnikov") ouvre ce Off 2018 sous de bons auspices, parmi les quelque 1560 spectacles proposés. Sa nouvelle création, "Kamikazes", des plus attendues, remplit toutes les attentes. Un huis-clos autour d’une "Cène" à sept où l’auteur revisite avec brio un de ses thèmes de prédilection : la famille. Chaotique et planant.
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Jazz
On dresse la table : Hélène reçoit ses invités, ses enfants, leur femme et mari, petits-enfants, oncles... Pour rien, pour se voir. Amour, rancune, traumas… s’égrainent au crescendo d’un pugilat chaotique. Chacun met les pieds dans le plat sans écouter l’autre, à force de souvenirs communs ou non. Ces "Kamikazes" ne sont pas ceux des attentats, ce sont les "Kamikazes" de la vie : nous tous, morts en sursis, suicidés programmés.Par la famille, Stéphane Guérin renvoie aux origines de tous. S’il n’en veut ni à l’une, ni aux autres, il témoigne de "l’horreur de la situation". On retrouve Strinberg, Becket et Pinter, au carrefour du quotidien et de la métaphysique. Sans fiel. Pas facile ? Tout l’inverse, tant le texte, volatile, passant du coq à l’âne, circule entre les acteurs. Autour de lui, jouent des échanges syncopés comme un morceau de jazz. Le sens est dans le rythme. La musique atmosphérique de Raphaël Sanchez, entre Ligeti et Hermann, baigne la pièce d’éther.
Communion
La mise en scène d’Anne Bouvier colle à ce joyeux (joyaux) "foutoir", en partant du rituel repas de famille pour finir en Radeau de la Méduse. Quand la mère intervient pour introduire chaque scène comme un chœur, les autres sont des fantômes ; quand ces derniers mangent et vocifèrent, l’instigatrice n’existe plus. Les rixes verbales sont des dialogues de sourds, chacun tire la couverture à lui, se considère victime ou irresponsable pour se protéger. Seule Hélène est heureuse de les rassembler tous, pour constater le naufrage.Dans la salle, l’écoute est attentive, tant l’on veut comprendre ce flot de paroles laissées en suspens, dont la conclusion, quand il y en a une, arrivera plus tard. Tous ces soliloques enchevêtrés fomentent un mystère enfermé dans une énigme. "Kamikazes" vogue sur des vagues d’ellipses, des non-dits et contradictions, comblés le temps venu. Signes d’une écriture et d’une dramaturgie remarquables. A ce titre, Stéphane Guérin compte poursuivre sa pièce avec un préquel, qui sera le sujet de sa prochaine pièce, où l’on apprendra ce qui a précédé "Kamikazes". Des lectures en sont d'ailleurs données à Avignon durant le festival, à l’Hôtel Europe.
Le tableau de cette humanité délétère n’est pas reluisant, mais la pièce splendide. Elle reflète l'ambiance de ces repas familiaux festifs, où les langues se délient, mais ne s’entendent pas, faute d’écoute, où chacun cherche à trouver sa place dans un imbroglio inextricable. Le brio du texte, de son rythme et de sa construction, passe par le talent de sept comédiens en communion. La pièce sonne grâce à eux. Avec une présence, une spontanéité, de l’humour et une gravité qui portent une œuvre au noir de premier ordre.
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