We Love Green : Tame Impala, Rosalía et Erykah Badu en feu d'artifice final
Sur la pelouse du bois de Vincennes où se tenait dimanche le second jour du festival We Love Green sous un soleil au beau fixe (et dans la fournaise), nous avons assisté à une flambée de femmes puissantes, de Courtney Barnett à Rosalía et Erykah Badu. Que seuls deux hommes chevelus, Flavien Berger et Kevin Parker de Tame Impala, sont parvenus à concurrencer.
Le soleil darde ses rayons sans merci dimanche peu après 16h et c'est déjà liquéfiée que l'on débarque au concert de Courtney Barnett. Heureusement son show se déroule sous la tente de la Clairière, où l’on peut profiter d’un peu d’ombre. Sauf que la rockeuse australienne envoie du lourd capable de griller à son tour les tympans. Fraîche et souriante sous sa coupe "mulet" à frange qui lui va à ravir, Courtney Barnett fait rugir sa guitare comme un bolide et c’est un bonheur à voir. Sa guitare, ou plutôt ses guitares, car elle en change entre chaque morceau, semblent douées de vie, l’entraînant dans un tourbillon sonore ascensionnel. Avec son power trio à l’os (elle, plus un batteur et un bassiste), elle balance une douzaine de directs du gauche (elle est gauchère) parmi lesquels ses hits Nameless Faceless et I’m Not Your Mother, I’m Not Your Bitch. Visiblement heureuse d’être là, faisant presque le pitre à l’occasion quand elle ne prend pas des accents plus graves à la Patti Smith sur Everybody Hates You notamment, elle termine ce set efficace sur le clinglant Pedestrian at Best. Un modèle de perfection rock.
"Je suis venue depuis Brooklyn" : à quelques mètres de là, l’appel de Lolo Zouaï nous happe à la sortie. Sur la petite scène Canopée, où on l’a vue l’an dernier aux côtés du producteur Myth Syzer pour le hit Austin Power, la jeune chanteuse de R&B franco-américaine qui monte vient de démarrer son set. Seule sur scène (quelqu’un envoie le son dans l’ombre), la jolie blonde est craquante avec sa gestuelle sexy et sa courte jupette bleue de collégienne qu’elle fait voleter à dessein. Lolo Zouaï a d’agréables morceaux pop à proposer, l’idéal par 32 degrés, mais sur scène elle manque encore d’envergure : ses adorables minauderies ne compensent pas le manque de voix. Il faudrait peut-être débloquer quelques chakras ?
Le manque de voix, c’est le truc impossible à dire de Rosalía. Phénomène du flamenco moderne, la jeune catalane âgée de 26 ans est une tornade vocale à l’ancienne - le canto, le vrai, avec d’authentiques trémolos dedans – qu’elle mélange avec des rythmiques urbaines et des mélodies pop. On s’attendait à un noyau de fans entouré d’une petite foule de curieux, on a la surprise de constater que le public très dense venu l’accueillir connaît déjà ses chansons par cœur. La veille, sur la grande scène, Chris(tine and the Queens) avait ébloui par sa maitrise et les chorégraphies de sa troupe (La Horde). De ce point de vue, Rosalía pourrait être son pendant ce dimanche, mais à l’espagnole, tout feu tout flammes. Entourée de ses six danseuses, la belle brune en bermuda et chemise blanche brodée livre un show flamboyant de flamenco contemporain aux allures R&B: le port de tête altier, le regard haut, la gestuelle des mains codée, les sourcils froncés, elles se déhanchent, tapent du pied et montrent les cornes comme de valeureux taureaux. Ce sont des tableaux de femmes puissantes, qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. L’estoquade prend en ce début de soirée la forme de Malamente, le hit international de Rosalía, placé adroitement en toute fin de set. Ovation.
Samedi, Booba avait fait patienter ses fans 45 minutes avant son entrée en scène – la rumeur s’amuse, imaginant qu’il négociait ce retard avec Uber, afin que son public soit contraint de se rabattre sur les VTC faute de métro - dimanche c’est Erykah Badu qui a fait attendre le public 30 minutes au même endroit. Originale forcenée, la grande prêtresse néo-soul, qui exerce aussi le métier d’actrice, ménage ses effets. Comme toujours, son entrée est ses atours sont spectaculaires. Ce soir, elle est coiffée d’un (très) haut de forme doré, et d’étranges plumes grises volètent sur son visage. La native de Dallas arbore un imperméable XXL barré de lettres rouges sur une ample robe dorée (scoop : on a vu sa culotte, elle était rose). Malgré sa grâce et sa beauté naturelles, sa façon de rouler des yeux dans cette tenue a ce soir quelque chose d’inquiétant : elle fait écho à la figure de Baron Samedi du culte vaudou. Ce n’est sans doute pas un hasard puisque la chanteuse émet d’étranges Fshhhh fshhhh entre certains morceaux en faisant des gestes ésotériques comme on jette des sorts ou des bénédictions. Débuté avec Hello, qui ouvrait sa dernière mixtape parue en 2015, You Caint Use My Phone, le show fluide mené par sa voluptueuse voix intacte met notamment à l’honneur son inusable premier succès On & On et Love of My Life. La chamane entourée de six musiciens et trois choristes termine dans les bras des premiers rangs et malgré ce concert abrégé d’une trentaine de minutes, la foule est rassasiée et ne proteste pas. L’envoûtement a opéré.
Au milieu de cet aéropage de féminité triomphante, Flavien Berger est le gars qui surnage dimanche. Comme par hasard il porte les cheveux très longs et n’a rien du mâle dominant, mais on s’égare. Car le prince de la pop électronique française est tout simplement dans une forme éblouissante. On ne l’a jamais vu aussi à l’aise. Pourtant, comme il l’avoue lui-même, "vous êtes plus que je n’en ai jamais vu". Démarré très pop 80, très Daho, son set s’autorise de longues digressions d’électronique cosmique qui passent très bien. Il chante juste, joue malicieusement avec ses propres titres, ose alterner les tubes comme Maddy la nuit et la langueur casse-gueule en public de Pamplemousse, quand il ne s’exprime pas au micro, "ce truc avec lequel j’ai beaucoup trop de pouvoir. Si j’en usais ça deviendrait une démocratie un peu trop compliquée". Spirituel, pince sans rire, roi de l’absurde et du 8e degré, – "ceci n’est pas un morceau, cela n’existe pas" - , Flavien Berger évoque les théories de Matrix et l’idiome anglais "pour gagner du temps entre mes morceaux". Il termine sur le fantastique et très Alan Vega Fête Foraine et embrase les hanches du public. Tout le monde repart en dansant et en chantant à tue-tête.
Tiens, comme par hasard, l’autre gars que tout le monde attend pour clore cette journée en beauté porte lui aussi les cheveux mi-longs et a la grâce d’une jeune fille en fleur, mais on s’égare à nouveau. D'abord parce que Kevin Parker chante Cause I'm a Man. Ensuite parce que le leader et éminence grise de Tame Impala (seul aux manettes hors scène), est de retour et qu'une fois encore on n’y est plus pour personne. Comme nous sommes au moins 30.000 dans le même état d’esprit, Tame Impala va nous entraîner sans mal dans son tourbillon hypnotique entamé avec le phénoménal Let it happen long de 7 minutes.
Nimbé de fumée et d'un feu d'artifice de couleurs, sous une pluie de confettis, le quintet allume des étoiles dans la nuit. Devant une marée humaine, Tame Impala déploie un show lumière spectaculaire aussi psychédélique que ses morceaux fourmillants de nappes électroniques, de chœurs aériens et de détails sonores qui rappellent parfois la classe de Pink Floyd (The Moment en particulier). Le tout avec un son d’une précision aussi diabolique que la dernière fois que nous les avions vus à l’édition 2015 de Rock en Seine. Hormis le travail sur la scénographie, le set est d’ailleurs très similaire. Trop peut-être. Le groupe australien n’a pas sorti d'album depuis, et rejoue donc majoritairement Currents (2015), avec quelques escapades du côté du précédent, Lonerism. On espérait avoir la primeur d’un inédit, un nouveau disque semblant se profiler à l’horizon. On caressait même l’idée folle d’une reprise à leur sauce du 13th Floor Elevator, groupe pionnier du psychédélisme dont le leader Roky Erickson vient de trépasser le 31 mai. Nous aurons droit tout de même aux deux premiers singles dévoilés ces dernières semaines, Borderline et Patience. De la patience, il va sans doute nous en falloir avant le prochain album.
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