Interview "À We Love Green, on ouvre de petites brèches" : le festival écoresponsable qui se tient au Bois de Vincennes ce week-end continue à innover

Chaque année depuis sa création en 2010, le festival de pop francilien avance, teste, innove avec une obsession : réduire toujours plus son empreinte carbone. Où en est-on et qu'est-il prévu pour l'édition 2024 ? On fait le point avec sa directrice Marie Sabot.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Ambiance au festival We Love Green 2023, devant l'espace La Prairie. (MAXIME CHERMAT)

Connu pour son engagement écologique, le festival We Love Green pousse chaque année le curseur plus loin pour réduire ses déchets et son empreinte carbone. Ses expérimentations vertes tous azimuts montrent la voie et ont même servi de laboratoire aux J.O.  

Alors quoi de neuf en la matière, pour l'édition 2024 prévue au Bois de Vincennes du 31 mai au 2 juin, à laquelle sont attendues 120 000 personnes et où résonneront soixante concerts de Justice, Burna Boy, Ninho, Sza, Shay, Hamza, L’Impératrice ou Kim Gordon ? Tour d’horizon avec sa directrice, Marie Sabot.

Une étude d'impact inédite sur la biodiversité

Une petite musique revient régulièrement ces derniers temps : les gros festivals de plein-air seraient dommageables pour la biodiversité. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Quel est le véritable impact d’un festival de plein-air sur la faune et la flore alentours ? Pour en avoir le cœur net, We Love Green, qui n’est pas le plus important des festivals du genre en Ile-de-France (Solidays et Lolapalooza le dépassent de beaucoup en fréquentation quotidienne), a engagé cette année une étude d’impact inédite sur trois ans, dans et autour du périmètre qui lui est attribué chaque année par la Mairie de Paris depuis 2017 dans le Bois de Vincennes. Un périmètre qui se déroule sur des terrains sportifs et n’a jamais grandi et ne grandira pas, c’est le pacte depuis le début.

"Pour aller au plus près des sujets, nous nous sommes rapprochés du Muséum d’histoire naturelle et de cabinets d’écologues qui vont en repérage à chaque saison et analysent quels sont les végétaux, les petits mammifères, les oiseaux et les insectes en présence", explique Marie Sabot. "Ils repèrent s’il y a des espèces protégées, et mettent en lumière les enjeux et les problématiques. Leurs analyses servent habituellement à autoriser ou non des projets immobiliers. On a souhaité faire ce même type d’analyse, mais pour un festival. C’est un long travail et ce sont des budgets conséquents." 

Une mésange en Ile-de-France, l'un des oiseaux présents dans le bois de Vincennes. (CAROLINE PAUX / HANS LUCAS / AFP)

Quarante nichoirs pour oiseaux ont notamment été installés autour de l’espace du festival, à différentes distances et jusque tout au bord. Elle sont équipées de petites caméras pour observer le passage des animaux avant, pendant et après le festival, afin de déterminer quelle est leur période de reproduction. "On est le premier festival à faire ça. On est dans la transparence, on se met en danger", souligne Marie Sabot. "Le protocole d’analyse des écologues sera ensuite mis en open source pour être partagé par d’autres festivals. La question c’est : faut-il mettre le festival à une autre période, un mois plus tard par exemple ? Est-ce que l’avenir des festivals c’est d’être au Stade de France ? Je ne sais pas. Mais selon les équipes du Museum d’histoire naturelle, il est aussi crucial que les festivaliers continuent à aller au cœur de la nature pour savoir qu’elle existe et y revenir, entre amis et en famille."

Un "routing" de plus en plus efficace des artistes

Le transport, des artistes et des festivaliers, demeure le poste le plus émetteur pour le bilan carbone des festivals. Il y a encore quelques années, peu en avaient conscience et les festivals européens se déroulant à la même période étaient en concurrence directe. C’était à celui qui réussirait à avoir les meilleurs artistes, d’où qu’ils viennent. "On faisait des offres et on espérait que le festival rival n’aurait pas le groupe", se souvient Marie Sabot. Aujourd’hui, la donne a changé. Impossible de faire venir un groupe de l’autre bout du monde pour un soir, faisant exploser l’empreinte carbone du festival. Ce qui était autrefois une question d’ordre économique se double aujourd’hui d’un impératif écologique.

Le groupe français Phoenix et le rappeur Pusha T (monté sur scène pour All Eyez On Me), au festival We Love Green 2023. (HP WE LOVE GREEN)

"Maintenant, on s’arrange", éclaircit Marie Sabot. "Dès le mois de septembre, on travaille avec six gros festivals européens qui se déroulent à une semaine d’intervalle : Primavera en Espagne, Forbidden Fruit en Irlande, Best Kept Secret en Hollande, Northside au Danemark, Orange Warsaw en Pologne et Parklife à Manchester. On demande : qui a envie de faire tel groupe cette année ? Non, ça c’est trop cher. Moi je ne pourrai pas. Toi tu pourras. Après, on s’arrange sur les jours. Celui qui a le plus gros budget va choisir la date la plus importante pour lui et nous on s’aligne derrière. On fait en sorte que le routing soit le plus efficace possible, le moins cher et le plus cohérent. On ne fait plus jamais venir un artiste de loin. On a dû se battre au début mais maintenant c’est entré dans les mœurs. En tout cas pour les festivals pop, parce que pour les festivals d’électronique ça reste un gros sujet. Étant seuls, les DJ stars volent encore de date en date à bord de jets. Bref, on avance mais ce n’est pas encore une évidence pour tout le monde.".

Le 100% végétarien a tout bon

L’an passé, We Love Green est passé au tout végétarien pour son offre de restauration. Un vrai pari, qui a payé au-delà des espérances. D’abord, en grande partie grâce à cette initiative, le festival a réussi à baisser de deux tiers son bilan carbone, certifié par le Greener festival, une ONG anglaise indépendante qui audite une centaine de festivals dans le monde. "On savait que cette approche sans viande était très importante. Mais le bilan est colossal. L’empreinte de la restauration a été divisée par six en un an !", se félicite Marie Sabot. La seconde bonne nouvelle c’est que "le festival n’a jamais fait un aussi beau chiffre en restauration que l’an dernier. Pourtant, les 50 restaurateurs, qui proposaient des plats végétaux inventifs comme des frites de pois chiches et des burgers de betteraves panée, n’étaient pas très rassurés. La curiosité des festivaliers pour cette street food audacieuse nous a vraiment soufflés. Du coup, on reconduit le principe cette année".

Un burger végétal plus green que green proposé dans le food court du festival We Love Green en 2023. (MICKAEL A. BANDASSAK POUR WLG)

"Alors bien sûr, en backstages ça a un peu râlé", se souvient Marie Sabot avec amusement. "Des rappeurs nous ont dit : "Moi je ne vais pas me faire imposer quoi que ce soit, je vais me commander à manger !" Dans les équipes techniques c’était : "Non mais moi je monte des scènes. J’ai besoin de protéines." C‘est bien, ça a frité mais ça a créé le débat. Nous on leur disait : "Les gars, on va faire 120 000 repas. Est-ce que c’est raisonnable d’avoir de la protéine animale pour 120 000 repas ?" Il ne s’agit pas d’être végétarien tous les jours ! Quand on est sûr de la qualité, oui ! Mais la traçabilité pour de tels volumes, c’est impossible. Alain Ducasse lui-même, qui est jury des restaurants du festival cette année, se demande ce que sera la gastronomie française dans 20 ans. Il dit : "Est-ce vraiment le bœuf bourguignon qu’on va léguer à nos enfants ?" A We Love Green, on engage la discussion, on ouvre modestement de petites brèches. »

L'humour, intégré au Think Tank

L'humour reste le bienvenu à We Love Green, mais il change de nature : plus de star comme c’était le cas il y a deux ans avec Fary qui dévoilait son nouveau spectacle en avant-première au festival. Cette année, l’humour est totalement intégré au Think Tank, samedi et dimanche. Entre deux conférences, souvent studieuses, des humoristes viendront apporter leur touche caustique sur le développement durable et le dérèglement climatique. Sont programmés Swann Périssé, humoriste et stand-uppeuse, Nicolas Meyrieux, humoriste engagé, vidéaste et agriculteur, Giédré, autrice-compositrice et humoriste, ainsi que le Greenwashing Comedy Club, pourvoyeur de stand-ups entre écologie et justice sociale.

Une vue du Think Tank à la nuit tombée, au festival We Love Green 2023. (MAXIME CHERMAT POUR WLG)

"Ces profils ravageurs en pleine ascension vont à la fois réveiller cette scène et amener du recul, une sorte de contrechamp", espère Marie Sabot. "Par exemple, Nicolas Meyrieux, qui a été un youtubeur à succès, est vraiment dans l’action maintenant. Il a acheté des hectares de terres et il se lance dans un énorme projet d’agroforesterie. En parallèle, il mène un projet assez fou depuis l’an dernier qui s’appelle Le Farm Tour. Il sillonne la France rurale pour interroger jeunes et moins jeunes qui se retrouvent au cœur de problématiques comme les méga-bassines ou la sécheresse. Et il rit avec eux de ça. On préférait avoir un profil tel que lui plutôt que des activistes coincés à Paris."

"Viens à We Love Green en vélo"

L’an passé, un beau dispositif avait mis en lumière le skateboard au festival, avec l’installation d’une rampe de compétition flambant neuve et les performances de champions internationaux du genre, dont Edouard Damestoy. Cette année, place au vélo. "Nous nous sommes greffés sur la randonnée annuelle jusqu’à Paris de la Fédération française de cyclotourisme, Ensemble à vélo, un voyage itinérant qui rassemble chaque année des milliers de participants", expose Marie Sabot. "We Love Green sera une étape de leur circuit dans Paris, et nous les accueilleront à bras ouverts. Alors on a passé le mot : Que tu sois à Tours ou à Reims, Viens à We Love Green en vélo. On va les interviewer et les filmer."

"Ce genre d’aventure joyeuse, c’est quelque chose que je vois depuis longtemps en Angleterre. Au Bestival, qui se tenait sur l’île de Wight, ils avaient même une délégation qui venait à la nage ! (rires) Ils étaient dingos, ils se déguisaient pour aller dans l’eau. C’est ce genre d’énergie qu’on essaye de recréer." Mais il y a encore mieux pour les festivaliers qui aiment pédaler : Vélib a décidé de mettre en place cette année pour le festival une station géante de quelque 800 vélos en libre-service. Ceux qui ne voudront pas prendre le métro, le taxi ou la voiture n’auront qu’à filer sous la brise en bicyclette depuis le Bois de Vincennes.

Le festival We Love Green se déroule du vendredi 31 mai au dimanche 2 juin 2024 au Bois de Vincennes, programmation musicale par ici, avec un aperçu général ci-dessous

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