Trois ténors à côté de la plaque
Ou plus exactement on est dans la musique qui s’adresse à…. ce public fantasmé qui n’ira pas au concert ou à l’opéra mais dont la passion de chanter irrigue les ruelles populaires des cités méditerranéennes. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que nos chanteurs, en s’adressant à lui, ne soient pas sincères. C’est ce répertoire qu’eux-mêmes (ils le répètent suffisamment) entendaient dans leur enfance et pour lequel ils ont gardé de la tendresse. Mais à brouiller les cartes….
Pendant ce temps là, Calleja n'enregistre pas...
Le disque de Joseph Calleja s’appelle « Amore ». L’on y passe de « Besame mucho » à « O sole mio », par une étape espagnole (de zarzuela), une autre d’un arrangement de Tchaïkowsky, et même par « La vie en rose ». Voire un air d’Ennio Morricone pour le film « La Califfa » avec Romy Schneider ! La voix n’est pas en cause. Plutôt tenue –et ce timbre de bronze !- sans en faire des wagons dans les trémolos. Il y a même des diminuendos superbes dans «La vie en rose », de jolis vibratos dans la mélodie napolitaine « La serenata ». Mais un Chopin dégoulinant, un truc anglais sirupeux (« You raise me up ») et, généralement, le ton du disque, nous font regretter les Verdi que, pendant ce temps, Calleja n’enregistre pas.
Grigolo : on se croirait dans disque des "Prêtres"
Avec Grigolo c’est autre chose. « Ave Maria » nous plonge dans une atmosphère, saturée d’encens, de Vierges éplorées versant des larmes de cire, dans une odeur de cierge si imprégnée de sirop qu’elle en devient très vite irrespirable. Le répertoire est médiocre, souvent celui de « padre » italiens qui se prennent pour Mozart ou d’un certain Richard Whilds qui, trouvant sans doute que l’ « Ave Maria » de Schubert est d’un petit musicien maladroit, le réadapte à sa sauce. On se croirait dans un disque des « Prêtres », sans le kitsch assumé (ou non. Mais réel !) de ceux-ci. Car là aussi Grigolo, conscient des risques, n’en fait pas trop. A recommander à tous ceux qui passent leurs vacances à Fatima ou qui font à genoux le tour de la place St-Pierre. Il y en a.
Alagna : cette voix magnifique met trop de puissance et d'éclat dans un répertoire qui le supporte mal
Vue la concurrence, il fallait donc que Roberto Alagna soit présent cet automne. N’ayant aucune nouveauté sous le coude, DG nous sort une compilation de son répertoire sur un double CD. Mais qui s’adresse à deux publics. Au rayon « variété » (de luxe), « Quizas, quizas, quizas », « Besame mucho » qu’on s’amusera (si l’on veut) à comparer avec celui de Calleja, qui l’emporte largement : pris plus vite, avec plus de nerf et moins de sucre, sans rien ôter du sentiment. Le défaut majeur d’Alagna y apparaît à plein : « Besame mucho » ne se chante pas comme du Verdi. Cette voix magnifique met trop de puissance et d’éclat dans un répertoire qui le supporte mal. Les airs écrits pour Luis Mariano s’y brisent comme du verre, les chansons napolitaines et siciliennes souffrent de trop de pathos. Une jolie découverte, un air de « Ben Hur » d’André Hossein, sensible d’écriture et (enfin) juste de sentiment.
Au rayon « opéra », évidemment bien moins contestable, les tubes (« La donna è nobile », cette « Una furtiva lagrima » de Donizetti, qu’il adore, ou « Nessun dorma ») quelques véristes (Giordano, Cilea, Mascagni) qui ne doublonnent pas avec ceux de Kaufmann et un bouquet de français, rare (le « Marouf » de Rabaud) ou bien choisi (« Le jongleur de Notre-Dame » de Massenet). Mais écoutez comme le fameux « Je crois entendre encore » des « Pêcheurs de perles » de Bizet est pris avec trop de puissance alors qu’il devrait être murmuré.
Joseph Calleja : Amore (Decca))
Vittorio Grigolo : Ave Maria (Sony Classical)
Roberto Alagna : Robertissimo (DG x 2)
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