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The Smile, le projet de Thom et Jonny de Radiohead, une expérience à vivre en concert et en tournée

Le nouveau groupe monté par le chanteur et le guitariste de Radiohead est actuellement en tournée. Nous avons assisté au concert de The Smile donné à la Philharmonie de Paris avec un Jonny Greenwood éblouissant et un Thom Yorke bouleversant.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le groupe The Smile c'est Tom Skinner (du groupe jazz Sons of Kemet), Thom Yorke et Jonny Greenwood (de Radiohead). (ALEX LAKE)

Avec The Smile, leur nouveau projet, le chanteur et le guitariste de Radiohead semblent avoir choisi d’expérimenter en toute liberté, sans avoir à supporter le poids encombrant du nom de leur navire amiral et les attentes qui vont avec. En trio, avec le batteur venu du jazz Tom Skinner, du groupe Sons of Kemet, Thom Yorke et Jonny Greenwood sont plus mobiles et peuvent par exemple se produire sans risques de remous dans de plus modestes salles comme celle de la Philharmonie de Paris (3600 places) la semaine passée (6 et 7 juin), en ouverture du festival Days Off.

Mais on peut bien se baptiser The Smile (Le Sourire), on ne se refait pas. Né durant le confinement, parce que Thom et Jonny souhaitaient terminer quelques chansons ensemble, The Smile n’a pas soudain transformé les deux génies de Radiohead en joyeux drilles. Pas demain la veille que l’écorché vif Thom Yorke et le timide Jonny Greenwood vont offrir une musique euphorique. The Smile n’est d’ailleurs pas à comprendre comme un sourire de ravissement mais "plutôt comme le sourire du type qui vous ment tous les jours", précise Thom Yorke.

Laboratoire expérimental

La musique de ces deux têtes chercheuses ressemble surtout à un laboratoire expérimental, et plus encore sur scène que sur disque – l’album A Light For Attracting Attention sorti le 13 mai –, comme on le constate rapidement à la Philharmonie. En concert, dénuées des parties de cordes de l’orchestre contemporain de Londres qui habillent majestueusement l’album, les chansons apparaissent plus brutes, dans toute leur nudité et leur audace architecturale. Quant à la section de cuivres du disque, elle est compensée en partie par le saxophoniste Robert Stillman, vu en première partie.

Ce mardi 7 juin, le trio, qui avait jusque là souvent joué son album à peu près dans l’ordre, prend le parti de démarrer avec le délicat Pana-Vision, moins plombé que le puissant The Same avec lequel débute le disque. Thom s’installe au piano, et Jonny est en retrait à la basse, tout comme le batteur, plutôt discret, dont on remarque le touché souple. Dès le second titre, le tempo s’emballe sérieusement avec Thin Thing pour lequel Thom passe à la basse alors que Jonny empoigne une guitare. Le titre comporte une accélération très cinématique, comme une course poursuite en bolide. Impossible de ne pas penser au fait que Jonny est devenu un as de la composition de musiques de films.

Jonny éblouissant, Thom bouleversant

Tout au long du concert, ce dernier s’avère tout simplement éblouissant. D’abord parce qu’en multi-instrumentiste accompli, Jonny Greenwood tient alternativement la guitare, la basse, les synthés, le piano et la harpe, et même les deux derniers en même temps (une main pour chaque !) sur le splendide Speech Bubbles. Mais surtout parce qu’il fait preuve d’une créativité inouïe avec sa guitare. Comme s’il voulait en extraire toutes les ressources, il envisage sa six cordes sous tous les angles, la pince comme une contrebasse, en joue avec un archet comme Jimmy Page de Led Zeppelin, la rend abrasive ou la fait sonner comme une kora africaine. Tout cela sans ostentation, et comme à son habitude le regard constamment caché par le rideau de cheveux de sa longue frange noire.

Thom Yorke n'est pas en reste, changeant lui aussi régulièrement d’instruments – basse, guitare, pianos - durant les 85 minutes du show, mais il se montre particulièrement inventif dans l’instrument de choix qu’est sa voix. Il en joue sur tous les registres : angélique, déchirante, hantée ou hargneuse, avec des phrasés variés, et parfois beaucoup d’écho. Elle rappelle étrangement Neil Young sur certains titres (le poignant Free in the Knowledge notamment) et demeure habitée et bouleversante même lorsqu’elle trébuche. Quant à ses chansons, elles ressemblent à des bouteilles à la mer jetées en pleine tempête. Sauf qu’elles n’appellent pas à l’aide, conscientes qu’il est déjà trop tard. Elles constatent, douloureusement ou rageusement, l’état du monde et sa finitude qui vient.

Des inédits et une première mondiale

Parce que l’album n’est pas assez long pour tenir tout un concert, le groupe joue des inédits (Bodies laughing, Friend of a friend, Just Eyes and Mouth) et ce soir là offre même au public parisien la primeur mondiale de Colour Fly - "On l’essaye sur scène pour la première fois, on va voir si ça fonctionne", annonce le chanteur.

C'est un titre débuté avec un motif de guitare presque oriental qui tourne à la tempête de sable dans laquelle le saxophone de Robert Stillman semble en perdition, tandis que Thom chante un ahhhhh constant qui pourrait être un aum bouddhiste. Un morceau convaincant bien que free, très krautrock, qui rappelle les expérimentations de Can. Et démontre que le discret Tom Skinner est un batteur hors pair capable d’assurer avec élégance et souplesse les virages en tête d'épingle et les accélérations les plus audacieuses de la formation.

L'ombre de Radiohead

Une chose est sûre, The Smile est bien plus rock que le dernier album de Radiohead, le sublime A Moon Shaped Pool paru en 2016. Il y a du rock, du post-rock et du krautrock dans ce groupe, et même du punk avec le formidable brulôt révolté You Will Not Work On Television Again, asséné rageusement en clôture avant le rappel. Il y a du jazz (Friend of a friend) et du groove aussi (Bodies Laughing, The Smoke) dans The Smile, moins cérébral que le public ne l’envisage, qui l’écoute religieusement au lieu, parfois, de se laisser aller à danser comme ne s’en prive pas Thom Yorke.

Rien, cependant, qui ne pourrait sortir de la cuisse de Radiohead, dont l’ombre est ici si puissante qu’on en vient à douter de sa pérennité – après les divers projets solo de Thom Yorke et la multiplication des excellentes musiques de films de Jonny Greenwood, The Smile n’est-il qu’une récréation sans lendemains ou annonce-t-il une lente agonie de Radiohead, qui n’a sorti aucun album depuis six ans ? Réjouissons-nous en tout cas que ces deux là, cas rare dans l’histoire du rock, ne s’endorment pas sur leurs lauriers, fuient la redite et l’auto-parodie pour faire avancer la musique toujours plus loin.

The Smile est en tournée
Le 24 juin à Reims (festival Magnifique Society)
Le 27 juin à Neumunster (Luxembourg)
Le 11 juillet à Nîmes (festival de Nîmes)
Le 12 juillet à Montreux (Montreux Jazz Festival)

L'album A Light For Attracting Attention (XL Recordings/Beggars) est sorti le 13 mai

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