Mort de Tina Turner : "Elle a abattu les cloisons entre la musique noire, le rock et la soul", témoigne le journaliste Philippe Manœuvre
Tina Turner "a abattu les cloisons entre la musique noire, le rock et la soul", a témoigné mercredi sur franceinfo Philippe Manoeuvre, journaliste spécialiste du rock, après la mort de Tina Turner à l'âge de 83 ans. Le journaliste salue "une personnalité incroyablement attachante" malgré son histoire personnelle "abominable" qu'elle raconta dans un livre.
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Sur scène, "on était foudroyé par le talent, la grâce", raconte Philippe Manoeuvre. "Ce n'était pas une mécanique, ce n'était pas une poupée du show business." "La lionne est partie", ajoute le journaliste.
franceinfo : Est-ce que c'est une légende du rock qui disparaît ?
Philippe Manoeuvre : Bien sûr. C'est une carrière en trois parties. Au début, c'est une petite chanteuse de Rhythm and blues. Elle monte sur scène pour un concert de Ike Turner. Il est totalement impressionné par cette chanteuse qui a 18 ans. Il va l'engager immédiatement pour devenir la chanteuse de son groupe, les Kings of Rhythm. Ils vont se marier et ensemble, ils vont monter en puissance. Il y a eu des passages à l'Olympia de Ike et Tina Turner mémorables. Il y a d'ailleurs un double album qui est sorti et puis la chanson Proud Merry des Rolling Stones qui lui demandent de faire leur première partie en 1969, ce qui va faire découvrir Tina Turner par un public blanc énorme. Cette tournée des Stones est énorme.
Mais le couple n'est pas un couple heureux parce que Ike Turner est un personnage drogué, violent. Il la bat sans arrêt. Ils vont se marier au Mexique et ça se termine dans un bordel. Ce sont des histoires abominables qu'elle racontera dans sa biographie "Moi Tina". Elle va plaquer Ike Turner en 1976 à Dallas. Elle part sans un sou. Elle part en auto stop et elle va revenir en Europe. Là, c'est sa deuxième carrière. Elle va être aidée par beaucoup de gens du rock, notamment Jeff Beck, et le guitariste de Dire Straits, Mark Knopfler, qui va lui écrire "What's love to do ?" Cela va être un tube énorme, colossal. Les gens ont besoin de cette femme qu'on appelle la lionne, la tigresse, tellement elle est dynamique. Elle danse comme un James Brown féminin. Elle est ultra sexy et elle revient très fort avec l'album "Private Danseur".
Quel souvenir marquant avez-vous d'elle ?
Je la rencontre en 1985 avec Les Enfants du rock. On va filmer le tournage de Mad Max en Australie. Elle est là avec Mel Gibson. Elle est la vedette du film. Et je découvre une personnalité incroyablement attachante, géniale. On fête son anniversaire dans le désert, elle danse sur un disque de Madonna pour l'équipe du film. Elle vit pour la musique, par la musique. Et puis les tubes vont continuer avec le fameux titre de James Bond, GoldenEye qui la relance encore en 1995.
Elle a eu douze Grammy et elle a vendu 200 millions d'albums. Mais elle a surtout vendu des tickets de concerts. Car Tina Turner sur scène, c'était une expérience unique. Je crois qu'elle a vendu plus de 200 millions de tickets lors de ses tournées solo. C'était une personnalité énorme.
Comment a-t-elle traversé ces dernières décennies ?
A un moment, elle a senti qu'elle diminuait et qu'elle fatiguait. Elle a carrément arrêté. Dans les années 2000, elle est en retrait, elle fait de très rares apparitions. Elle devient bouddhiste, elle épouse le président de sa maison de disques. On la verra encore faire quelques apparitions aux Grammy avec Beyoncé en 2008.
Mais à partir de 2011, elle disparaît littéralement des radars. Elle vit avec son mari, le producteur allemand Erwin Bach. Elle aura des accidents vasculaires qui la laissent très diminuée, elle a un cancer. Et elle vient de nous quitter ce soir. La lionne est partie. C'est vraiment une trilogie, Aretha Franklin, Tina Turner, Diana Ross, pas forcément dans cet ordre.
Qu'est-ce qui caractérisait le plus Tina Turner ?
Elle allait plus loin comme James Brown. Quand on allait voir un concert de Tina Turner, on était foudroyé par le talent, la grâce. Ce n'était pas une mécanique, ce n'était pas une poupée du show business. Ça restait une fille née à Nutbush dans le coeur des Etats-Unis. Je me souviens du concert de Live Aid à Philadelphie, où elle chante avec Mick Jagger. Mick Jagger lui arrache sa robe en dessous. Elle avait tout prévu, elle apparaît dans une combinaison à paillettes. Voilà, c'était ça Tina Turner.
C'était un ouragan sur scène. Ce soir, elle a rejoint James Brown au Panthéon. Ce sont les musiciens noirs qui nous ont fait vivre plus vite. C'est quelqu'un qui a abattu les cloisons entre la musique noire, le rock et la soul.
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