Les Libertines rallument la nostalgie sur "Anthems For Doomed Youth"
Onze ans se sont écoulés depuis le précédent album des Libertines. Entretemps, de bagarres internes en déclarations fracassantes, de peines de cœur en cures de désintoxication, le groupe a changé. Après la rupture survenue au faîte de leur gloire en 2004, puis une tentative éphémère de recoller les morceaux sur scène en 2010, les frères ennemis Pete Doherty et Carl Bârat ont fini par enterrer la hache de guerre pour de bon l'an dernier avant de reprendre le chemin des studios.
Aujourd'hui, l'album inespéré est là. Mais toutes ces vicissitudes, vécues sous le regard inquisiteur et impitoyable des médias, ont laissé des traces. Pete et Carl ont évolué, mûri, vieilli (mais qui rajeunit ? leurs fans aussi ont pris de l'âge). Bien naïf celui qui s'attend donc à les retrouver intacts, tels qu' ils étaient en 2004.
Vaillants soldats et survivants du mythe rock
En 2015, la fraîcheur des deux sales gosses n'est pas vraiment éteinte, juste salement cabossée. Elle cède la place à une maturité neuve et à des textes introspectifs et nostalgiques qui parlent moins du présent que des débuts du groupe, notamment sur "Fame and Fortune", "Belly of the Beast" et "Glasgow Coma Scale Blues".La chanson titre "Anthem For Doomed Youth" évoque même précisément la formation des Libertines, le jour de leur signature chez Rough Trade ("They wished you luck and handed you a gun"), puis les dissentions internes ("Yes we thought that they were brothers/ Then they half murdered each other").
Le titre reprend celui d'un poème de Wilfred Owen dédié aux soldats tombés durant la première guerre mondiale et les Libertines, incorrigibles romantiques férus de littérature et de poésie, en font une métaphore d'eux-mêmes, vaillants soldats du mythe rock et survivants du quotidien.
Une brochette d'hymnes impeccables
L'album démarre fort avec deux titres déjà dévoilés, "Barbarians", un rock nerveux à la "The Jam" et "Gunga Din" un reggae bien balancé au refrain entêtant rappelant leur ascendant naturel The Clash. Plus loin, l'acoustique "Iceman" réussit à captiver avant un impeccable "Heart of the Matter" qui devrait faire rougir d'envie les Arctic Monkeys et le brulôt punk un peu facile "Fury of Chonburi", dont le texte évoque l'enregistrement du disque en Thaïlande, où Pete était parti soigner ses addictions.Si certains titres pourront laisser perplexes dans un premier temps ("Fame and Fortune" au hasard), il n'y a objectivement rien à jeter sur cet album, jusqu'au tomber de rideau sur le désolé "Dead For Love" dédié à Alan Wass, l'ami de Pete mort en début d'année.
Aucun fan sincère ne résistera au désenchanté "Anthem of Doomed Youth", un modèle de construction débordant d'émotion avec ses relents de "Macadam Cowboy" et son refrain génial (" Life could be so handsome/Life could be so gay/We're going nowhere/But nowhere, nowhere's on our way") pas plus qu'à la poignante balade dépouillée "You're My Waterloo", une vieille chanson recyclée de 1999, emmenée ici par un Pete impeccable en mode crooner.
Un album carré dompté par Jake Gosling
Si le concert de Rock en Seine avait quelque chose d'erratique, le nouvel album propose en revanche des titres carrés, aboutis et bien construits, avec des paroles intelligibles, des couplets bien répartis et des chœurs à deux parfaitement réglés (presque trop !).Sur ce disque, les mélodies ne se laissent que rarement distraire, comme c'était souvent le cas auparavant, par des digressions curieuses ou échevelées. Terminés aussi les détails volontiers bancals ou dissonants. Mais globalement, le son pète bien. Les guitares savent encore être castagneuses et la section rythmique, toujours assurée par Gary Powell (batterie) et John Hassall (basse), joue idéalement sa partie, dans un plus juste équilibre avec les deux leaders.
Impossible de dire si cet aspect plus organisé et moins spontané est à mettre au compte de la sagesse nouvelle des Libertines ou de la volonté de leur actuel producteur, qui succède au révéré Mick Jones du Clash et à son légendaire "laisser faire".
On ne peut d'ailleurs s'empêcher de se demander à quoi aurait pu ressembler cet album de la renaissance s'il avait été produit non pas par Jake Gosling (One Direction, Ed Sheeran) mais par Jack White (des White Stripes, Dead Weather et Raconteurs) à qui Carl et Pete avaient lancé un appel du pied sans succès il y a un an.
Au final, "Anthems For Doomed Youth" (Hymnes pour une Jeunesse maudite) est un titre qui ne ment pas : cet album est effectivement gorgé d'hymnes rock à reprendre en chœur et à tue-tête. Quant à la jeunesse maudite, il s'agit davantage de celle des mid-trentenaires Carl et Pete que celle des kids de 2015. Une malédiction désormais derrière eux : Pete assure ne s'être rien mis dans les veines depuis janvier. Reste à savoir si l'amour conjugué de Carl, du groupe et des fans aura raison durablement de ses démons.
The Libertines "Anthems For Doomed Youth" (Mercury / Universal) sortie le 11 septembre 2015
Le concert des Libertines du 29 août à Rock en Seine est à revoir en intégralité sur Culturebox jusqu'au 30 octobre.
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