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Avec Assassin ou en solo, Mathias Cassel tire leçon de la pandémie : "On n’est pas plus qu’une pomme"

Locomotive du hip-hop au début des années 1990, Mathias Cassel, alias Rockin'Squat (RCKNSQT), n’a pas chômé depuis un an de pandémie.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Mathias Cassel, alias Rockin' Squat (RCKNSQT), Paris 2019. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Un album solo, 432 Hertz, sorti en mai 2020, et bientôt Prison Planet, consacré à cette année "confinée" : Mathias Cassel, alias Rockin' Squat (RCKNSQT), leader d’Assassin, groupe rap en marge des majors, n’a pas chômé depuis un an de pandémie. De la découverte d’un Paris désert qu’il se met à aimer en mars 2020, à deux enregistrements, en passant par des méthodes de travail qu’il applique depuis longtemps, c’est la scène qui lui manque le plus.

Franceinfo Culture : quelle influence a eu la pandémie sur votre travail depuis un an ?

Mathias Cassel : Je travaille toujours avec les mêmes personnes, avec Assassin, ou en solo. Comme premier label de hip-hop indépendant en France depuis 1992, on forme une petite cellule d’artisans, avant d’être des artistes. Tout distribuer, en ligne, se débrouiller par nos propres moyens, on le fait depuis 20 ans, d’autres le découvrent par les circonstances. La crise sanitaire n’a rien changé pour nous. On a 36 000 casquettes sur la tête depuis des lustres, on sait faire. Ça nous a en fait confortés d’avoir pris ce virage il y a longtemps.

Et d’un point de vue créatif, comment avez-vous traversé cette période ?

Un peu avant le confinement de mars 2020, j’avais publié un livre (Squat Chronique d'une formule annoncée - Livin'Astro/SDLB Publishing, ndlr), sur 30 ans de culture urbaine, pour lequel j’ai fait une tournée de dédicaces jusqu’à fin janvier. Ça m’a permis d’avoir beaucoup d’actualité, car le livre est resté en tête des ventes pendant trois mois. En parallèle, je finissais un nouvel album en solo, 432 Hertz, que j’ai sorti en mai 2020, sur lequel je travaillais depuis trois ans, à New York, avec les musiciens de Kendrick Lamar, Erykah Badu ou Alicia Keys, des pointures. Il a très bien marché aussi. J’ai été étonné d’être très mis en avant à un moment si difficile. On avait retardé la sortie en raison de la situation et quand on a réalisé que ça allait durer, on a décidé d’y aller. En revanche, on n’a pas pu le défendre sur scène, alors que depuis la fin des années 1980, on n’a jamais arrêté de tourner. Pour compenser, on a fait beaucoup de clips. Ce qui fait que 2020 a été plutôt bien rempli.

Comment avez-vous vécu la première période inédite du confinement de mars 2020 ?

J’étais tous les jours dehors. Étant mon propre patron, ma fonction m’oblige à me déplacer. J’étais abasourdi par la vision déserte de Paris. Parisien de base, je n’avais jamais vu ça. J’ai fait des photos de mon quartier, des Champs, de Montmartre, il n’y avait personne, à 14-15h ! C’était impressionnant. Et quand le confinement s’est terminé, j’ai un peu regretté que la ville ne soit plus à moi, c’était assez génial. Un film de fin du monde, avec cette atmosphère de maladie mystérieuse, et ce cafouillage politique qui disait tout et son contraire. C’était réellement inquiétant. Et quand ça a repris, tout de suite les embouteillages sont revenus et c’était fini.

On n’a pas voulu faire de concerts en streaming. Parce que c’est beaucoup de travail pour que ce soit bien réalisé. Et comme spectateur, je trouve que ça n’a absolument rien à voir avec un concert vivant. Ce qui ne m’empêche pas de penser que cette crise a donné beaucoup d’idées pour y suppléer en se réinventant. Il faut tirer le positif de cette situation. Être artiste, c’est rester enfant, avec un imaginaire illimité, et pour rester un être lumineux, l’artiste doit constamment se réinventer. C’est pour cela que la routine est l’ennemi de la vie. La routine a été cassée par le virus, mais gérer sa routine volontairement dans la vie quotidienne, ça régénère l’individu automatiquement.

On attend maintenant que ça se débloque. Le problème est de savoir quand les gens au-dessus de nous vont nous le dire. La façon que j’ai géré ma carrière et mes textes m’ont écarté du showbiz. J’écris des paroles que ne peuvent pas entendre ces gens-là, parce qu’ils mettent en cause beaucoup d’intérêts. Je cite des noms de responsables de la situation actuelle, concernant la pollution des mers, la destruction des forêts, la malbouffe, ou la situation sociale, et tutti-frutti. Le fait d’avoir tenu et appris plusieurs corps de métier, avocat, éditeur, tourneur (de spectacle, ndlr), cuisinier, chercheur, épicurien (rire)… m’a aidé à cela.

La situation qui sévit depuis plus d’un an vous a-t-elle inspiré des textes, une approche musicale, des idées pour le futur retour à la scène ?

Je vais sortir un nouvel album, Prison Planet, qui est déjà écrit, enregistré, on est en train de faire le mixage. Tous les textes traitent de ce que nous venons de vivre. J’arrive avec 15 nouveaux titres qui ne traitent que de ça. Ce que nous subissons découle en fait d’une situation larvée depuis longtemps et il faudra rendre des comptes. Toutes ces contradictions dans la gestion de la crise depuis le début révèlent des lacunes qui ne sont pas nouvelles, ce n’est pas apparu d’un claquement de doigt. Derrière tout ça, il y a les lobbies, la volonté de contrôle des populations mondiales, la reconnaissance faciale, le passeport biométrique… On a développé tous ces thèmes dans l’album avec le recul nécessaire, en recueillant le maximum d’informations, historiques et contemporaines, sur ce qui se passe dans le quotidien, avec les acquis du passé et les perspectives futures. L’optique est d’exposer ce que pourrait être l’humanité.

Il est très difficile de faire confiance en l’homme. Mais il y a des alternatives à tout cela, en revenant à l’essentiel. Ainsi, si l’on considère les peuples dits "primitifs", l’occident s’est éloigné de leur approche du monde. On a brûlé les druides, les hérétiques, les sorcières, les Indiens, on s’est éloignés de la médecine traditionnelle, on s’est donc éloignés de la nature. Il faut renouer avec ses rythmes, arrêter d’aller au succès à tout prix, à la reconnaissance, à être toujours meilleur que l’autre, il faut se déconnecter de l’esprit de compétition guidé par l’impérialisme et le capitalisme. Le monde paysan et les peuples restés liés à la nature ont beaucoup à nous apprendre. C’est le rythme de la nature qui gère celui des hommes, pas l’inverse. C’est en fait assez simple de passer outre cette pression qu’on nous inflige. Il faut vérifier les informations qu’on nous donne, ne pas prendre tout pour argent comptant. Avoir l’esprit critique est essentiel. Ça prend du temps, mais il faut être exigent envers soi-même, la patience est une vertu vitale. Un fruit pour qu’il mûrisse, ça prend du temps. Nous, c’est pareil, on n’est pas plus qu’une pomme. Tout le monde est pris dans un tourbillon, ce qui fait que nous ne sommes plus en phase avec l’environnement, en accord avec l’univers. Ce genre de crise que nous traversons remet les pendules à l’heure.

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