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"De Purcell aux Beatles" : comment Arnaud Thorette et l'ensemble Contraste font exploser le cadre du classique

Dans l'univers du classique, cet ensemble-là détonne. Parce qu'il navigue allègrement entre Bach, pop et comédie musicale. "Contraste" aime l'alliage improbable. Il en joue avec la rigueur des solistes classiques formés à dure école et l'humour de vieux copains. Contraste sera au Bal Blomet le 14 mars avec le spectacle "De Purcell aux Beatles". Rencontre avec son co-directeur, Arnaud Thorette.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Arnaud Thorette, co-directeur de l'ensemble Contraste
 (Amélie Baudry)

Finie l'époque où quand vous naissiez dans la musique classique, vous deviez y rester à jamais, et inversement pour le jazz ou la pop ! Désormais, on peut avoir suivi une spécialisation en musique baroque, comme Arnaud Thorette et se sentir tout aussi à l'aise sur une comédie musicale ou dans des standards de Piazzolla et de Gardel ! Nombre d'artistes ont emprunté la voie, de Karine Deshayes Vanessa Wagner, en passant par Natalie Dessay, Francesco Tristano ou Jean Rondeau.

Avouons que le cas d'Arnaud Thorette et de l'ensemble Contraste qu'il dirige avec Johan Farjot est particulier, car il a fait de ce "vagabondage" une récurrence, saluée pour la qualité et la rigueur de ses productions. On ne peut qu'inviter à découvrir certains disques comme "Songs" chez Naïve, "Bach Transcriptions", chez La Dolce Volta, ou "Besame Mucho", chez Aparté. Rencontre avec Arnaud Thorette, qui nous explique tout.

Comment définir la démarche de l'ensemble "Contraste" ?
Nous sommes des musiciens classiques qui avons eu envie de suivre nos goûts musicaux, tout ce qu'on peut écouter depuis l'enfance : pas seulement du classique, également du jazz, de la pop, les musiques du monde etc.  Il y a donc ça avant tout : la liberté qu'on s'accorde de pouvoir aborder les répertoires qui nous tiennent à cœur. Avec les limites que cela pose, c'est-à-dire qu'on ne peut pas être bons partout et on accepte aussi de se planter (rires).

D'un côté vous poussez les limites du classique, de l'autre vous vous introduisez aussi dans l'univers du jazz, de la comédie musicale, etc.
Notre postulat de départ est que ce qui a fait évoluer les arts tout au long de leur histoire, c'est le métissage et l'interpénétration des choses. C'est pourquoi on n'hésite pas à avoir sur un même plateau des musiciens classiques, des jazzmen ou des chanteurs qui viennent d'autres univers ou encore des improvisateurs comme le compositeur Karol Beffa qui est souvent avec nous. Donc dans notre démarche, ce ne sera pas de la création musicale pure, puisqu'on reprend des standards ou des thèmes musicaux. Mais la texture, la manière dont on va traiter ce sujet musical peut être originale grâce à ce mélange-là. Elle est là notre part de création, c'est ce qu'apporte Johan Farjot, le directeur musical, dans ses arrangements, qui sont souvent des re-compositions des morceaux, un nouvel éclairage. Ce qui nous paraît emportant, autant sur scène qu'au disque, c'est d'alterner entre des projets très classiques - comme le disque enregistré il y a deux ans avec Karine Deshayes sur la mélodie française - et des projets qui vont au-delà, dont le dernier était autour du tango, influencé par le jazz et par la bossanova. La question fondamentale alors est qu'on puisse garder notre identité.

Identité dans quel sens ?
Ce qui nous fait vivre depuis qu'on est gamins, c'est l'identité de musiciens classiques (ou non d'ailleurs, quand des jazzmen nous rejoignent par exemple), avec la rigueur qui va avec.  En même temps, "Contraste" n'est pas un ensemble structuré comme un orchestre, où un chef impose sa vision aux musiciens. C'est une formation de "pure-sang", c'est-à-dire de musiciens aux très fortes personnalités qui s'expriment, qui doivent s'exprimer, mais dans un cadre fixé.

Un cadre qui peut exploser…
Oui ! La liberté est très belle parce qu'on peut, par moments, contourner ce cadre stricte-là. Sur scène d'ailleurs ce cadre explose en permanence (rires) ! C'est que le concert, chez nous, est soumis aux propositions de chacun, aux surprises, on aime beaucoup ça. Il nous arrive souvent, peu avant de monter sur scène, qu'on se dise : et si on jouait ce morceau qu'on n'a pas du tout prévu ? On improvise d'abord, puis un arrangement se crée et une demi-heure après, le morceau est prêt ! Dans l'idéal, on  aimerait ne pas avoir de programme de concert du tout ! On a besoin de cette liberté…

A propos de liberté : liberté d'associer les genres, de redéfinir la structure d'un ensemble, de casser les codes, d'improviser, etc. Que dit-elle, cette liberté-là, de notre époque ?
D'abord, je voudrais qu'on reste très humble quant à notre démarche. Avant notre époque, il y a déjà eu un mouvement incroyable, moi j'ai été bercé par Harnoncourt et tous ces grands-là. La fin des années 60 et les années 70 ont été une révolution totale par exemple pour la musique baroque ! A cette époque, c'était dur, c'était une guerre de tranchée et il a fallu certains très grands artistes pour se battre et pour progresser. Aujourd'hui ? On vit dans un monde qui conserve évidemment des règles, mais qui est multiformes. Tout a été complètement cassé par le numérique, par cette ultra-consommation – on a accès absolument à tout – et je pense que ça a brisé énormément de chaînes et de codes. On peut se permettre sans doute beaucoup plus de choses maintenant que dans les années 1980, oui, les choses sont beaucoup plus ouvertes pour nous.
C'est amusant que vous citiez Harnoncourt. Parce qu'à votre manière vous "tuez" Harnoncourt et les autres, en faisant - certes avec sincérité et beaucoup de rigueur - ce que vous voulez avec Bach dans le disque "Bach Transcriptions". Vous re-questionnez la notion d'authenticité et la démarche historique. Votre liberté est absolue…
Oui la liberté est absolue… On ne prétend pas que notre démarche soit pure et orthodoxe, mais on essaie simplement d'être sincères. Et j'espère qu'on sera longtemps conscients de nos limites et de nos qualités, les deux vont avec. La sincérité, c'est de vouloir jouer une musique parce qu'elle est belle, jamais par ce que ça peut marcher… Nos projets nous prennent deux voire trois ans de travail d'écriture, de recherche, de casting… Et pour être investi tout ce temps-là, il faut vraiment qu'on aime ce travail-là !

Et par rapport à "l'authenticité" baroque…
Nous on n'est pas là-dedans ! Mais si l'on fait référence à ce disque "Bach Transcriptions", précisons qu'il a été fait à un moment où on n'avait pas encore tous dans l'ensemble la double culture classique-baroque. Depuis, on a énormément joué d'autres répertoires baroques : on a le spectacle "Fairy Queen" qui a beaucoup tourné, Johan depuis des années maintenant joue du clavecin, on a fait une tournée autour du "Stabat Mater" de Pergolèse… On a progressé dans cette démarche-là.
Vous vous illustrez beaucoup par l'humour. Une manière de garder une distance par rapport au réel ?
C'est d'abord le reflet de nos personnalités. Dans la vie de Contraste, pendant tout le temps passé dans les loges, dans les trains, dans les hôtels, etc. on rigole énormément. Johan Farjot a un humour très pince-sans-rire et on est tous dans cette optique. Ça permet aussi de prendre une certaine distance, d'accepter nos propres faiblesses. Et refuser des situations comme celle que j'ai longtemps vécue dans des ensembles "normaux", de ne pas pouvoir prononcer quelque fois un seul mot de la journée…  J'ai pris la décision, à 40 ans, de ne plus vivre ça. Et vous parlez du réel, oui, l'urgence de garder notre humour sur scène est nécessaire aussi parce que derrière, on a appris à mettre les mains dans le cambouis. Dans le cadre de notre engagement notamment avec SOS Villages d'enfants, on intervient dans des collèges à Outreau, ou à Calais, dans des zones compliquées et on leur fait monter des opéras, des spectacles. Et ça nous a changés de voir ce qu'est la misère sociale, ça a changé la perception qu'on a de nos vies et de la chance qu'on a par rapport à d'autres.

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