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One Direction reprend The Who : plagiat ou pas ?

D’un côté un boy’s band extrèmement populaire chez les très jeunes, de l’autre l’un des très grands groupes du rock anglais. Pas grand chose à voir entre The Who et One Direction, sinon quelques mesures se ressemblant fortement, et une polémique.
Article rédigé par franceinfo
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One Direction en concert en juin 2013
 (MediaPunch/Rex Featur/REX/SIPA)
Difficile de ne jamais avoir entendu parler des One Direction. Le boy’s band composé de cinq jeunes hommes est un phénomène culturel chez les adolescent(e)s. Le groupe britannique, assemblé de toutes pièces pour la septième saison de l’émission de télévision X Factor en 2010 (sorte de Nouvelle Star, qu’ils n’ont pas remportée) multiplie les succès commerciaux.

Fort d’une communauté de fans - surnommés les “Directioners” en réaction aux “Beliebers” de l’autre idole des jeunes Justin Bieber - jeune mais fidèle, One Direction multiplie les records. C’est le cas de leur dernier titre, le très sobrement inititulé “Best Song Ever” (la meilleure chanson de tous les temps), qui frôle les soixante millions de vues sur Youtube quinze jours après sa mise en ligne.

Or, si la musique de “1D” comme les surnomment leurs fans reste méconnue des “grandes personnes”, l’introduction de “Best Song Ever” a pu sembler familière aux parents des “Directioners”. Et pour cause, elle rappelle fortement une des meilleures chansons de leur génération, “Baba O’Riley”, du mythique groupe de rock The Who.

Certains internautes ne se sont pas privés de le démontrer, montage sonore à l’appui :
Peu de chance pour une coincidence
Plagiat ? Le mot est laché, et les rumeurs d’une plainte à venir du groupe mené par Pete Townshend contre ses lointains cadets émeuvent la Grande-Bretagne. Pratique régulièrement au coeur de l’actualité en littérature, le plagiat est plus difficile à prouver dans la musique, où les airs sont réarrangés. Pourtant, selon Pierre Lautier, avocat à Paris et spécialiste de la propriété intellectuelle, les cas de plagiat musical sont assez fréquents. Mais rares sont les affaires où la décision d’un tribunal est nécessaire : en général, on résout ça à l’amiable.

Dans un article consacré au plagiat musical, Télérama relève l’étude d’un mathématicien, Frank Behrens, qui démontre “qu’à partir des douze notes de la gamme chromatique, la probabilité de reproduire à l'identique une séquence mélodique est de 0,0000002 %”. Peu de chance donc, pour une coincidence.
The Who en 1979
 (ERIC GAILLARD / AFP)
De façon pratique, explique l’avocat interrogé par Culturebox, en cas de reprise réarrangée sans l’accord des compositeurs, “il faut pouvoir prouver que l’oeuvre contrefaîte est connue, et qu’elle est antérieure. Dans le cas de rockstars comme The Who n’est pas compliqué”. D’autant que l’introduction du titre incriminé, très innovante en 1971, est reconnaissable entre mille.

Who is the Who ?
Julian Bunetta, le producteur du titre des popstars Britanniques, le sait, et il a tenu à relativiser. Sa défense ? Les deux titres "commencent avec un synthétiseur”, mais personne, affirme-t-il, n’a voulu plagier les Who : “Nous avons essayé d'être certains qu'il n'y avait pas de vol de propriété intellectuelle".

Les accusations de plagiat en musique sont d'ordinaire le fait d’inconnus s’en prenant à des stars. Et certains jeunes fans, loins d’être nés du temps de la gloire de ce groupe qui tutoyait les Stones ou les Beatles, s'insurgent sur les réseaux sociaux.

Un Tumblr sarcastique, intitulé “Who the f*** is The Who” (nul besoin de traduire) recense les meilleures réactions des “Directioners”, dont certains soulignent par exemple qu’aucun des deux groupes n’est à l’origine de cette musique, mais bien la série “Les Experts”. Le générique de la saison 5 de cette série reprend en effet “Baba O’Riley” (mais en crédite The Who).

En matière de contrefaçon (notion juridique, le “plagiat” étant un terme littéraire qui désignait le vol d’esclave ou d’enfant dans la Rome antique), la croyance veut qu’il y ait des critères juridiques pour la définir, comme un certain nombre de mesures reprises. Mais, corrige l’avocat Pierre Lautier, il n’y a rien de tout ça. “En cas de procès, c’est tout à fait subjectif”. En clair, seul compte l’avis du juge, même s’il s’appuie sur une analyse d’experts en musicologie.

Who is The Who
 (Capture d'écran/Tumblr)

Mais la notion fluctue avec les styles musicaux : là où les artistes soul et funk voient l'utilisation de leurs titres par le hip-hop comme des hommages, le monde du rock est rarement aussi libéral. Et finalement, au vu des très nombreuses affaires de plagiat en musique, rares sont les cas qui vont jusqu’au procès. Que les “Directioners” se rassurent, il est peu probable que leurs favoris - qui ont récemment posé pour cinq unes différentes du GQ anglais -  se retrouvent au tribunal.

C’est toujours une question d’argent
Pour expliquer pourquoi il y a si peu de procès au titre de contrefaçon dans l’industrie musicale, il faut se pencher sur l’organisation de ladite industrie. Quelques majors se partagent l’immense majorité du catalogue, et plutôt que de partir dans de longs procès incertains, mieux vaut s’arranger à l’amiable, en laissant aux auteurs de l’oeuvre originale une part des droits.

C’est ce qu’a fait Gotye récemment en laissant aux ayant-droits d’un compositeur brésilien plus d’un million de dollars pour avoir repris une suite d’accords sur son tube “Somebody that I used to know”.

Bien trop d’argent est en jeu pour que les représentants de The Who laissent passer l’affaire.”Donc dans un monde où les droits pour un titre de The Who dans une pub se négocient très cher, ils n’ont aucun intérêt à laisser passer cette contrefaçon”, souligne Pierre Lautier. D’autant que “1D” s’est déjà “inspiré” de tubes dans ses titres, utilisant par exemple volontairement le début à la guitare de “Should I Stay or Should I Go” des Clash pour leur titre “Live while we're young”.

Si un accord est trouvé, chaque passage en radio de “Best Song Ever” rapportera des royalties aux groupe de rock. Et vu la popularité de One Direction, il y a de quoi assurer les vieux jours des auteurs de “My Generation”.

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