Grand Blanc : " C'est l'histoire de quatre débiles qui tournent des boutons"
Rock en Seine, une première pour Grand Blanc ?
Benoît : Une première mais en fait il y a un petit truc sentimental avec Rock en Seine. Il y a deux ans on sortait notre EP ["Extended play", disque avec quelques titres] à cette période et on était allé faire un showcase au Village du Disque et ses Labels, le stand d’entreprise de Rock en Seine. On y a fait de la promo pour notre disque qui allait sortir. Donc oui, c’est une vraie première même si on y a déjà mis les pieds pour quelque chose qui nous tenait vachement à coeur.
Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Camille : On est assez impatient parce que, en plus de ça, ça clôt un peu la tournée des festivals d’été.
Vincent : C’était un peu le point de mire de l’été.
Tous ces festivals vous ont permis de vous préparer à cet événement ?
Benoît : Le fait d’avoir un objectif, c’est bien. Rocky s’entraîne pour un combat, il ne s’entraîne pas "gratos". Nous on a notre combat…
Vincent : ... Ouais mais il faut quand même tout donner dans les autres concerts.
Camille : On ne va pas dire qu’on s’est "entraînés" devant dix mille personnes comme à Beauregard, ça serait un peu hautain.
Benoît : En tout cas ça nous a cadré pour un festival qu’on estime, très chouette avec des affiches géniales. On est très honorés à chaque fois qu’on nous programme quelque part, d’autant plus quand c’est à Rock en Seine sur la scène de l’industrie à 18h50. Ça fait plutôt "plaiz".
C’est un lieu que vous fréquientiez en tant qu’amateurs de musique ?
Luc : Je suis allé à deux éditions il y a trois quatre ans. C’était l’année où il y avait Kendrick Lamar, Alt-J, Paul Kalkbrenner [rires] c’était marrant. Et l’autre fois c’était il y a deux ans. Avec Portishead, Thee oh sees…
Vincent : Moi j’avais vu Rage Against The Machine à ma grande époque néo-métal où j’aimais secouer la tête et faire des pogos. C’était il y a quatre. J’avais raté les deux Bercy qu’ils avaient fait. Du coup, j’étais hyper content qu’ils soient à Rock en Seine. C’était chaud, il y avait du monde, ça poussait aux barrières. Au bout de trois chansons j’avais été obligé de me faire porter pour sortir du truc.
Par quels festivals êtes-vous passés avant Rock en Seine ?
Luc : Le Paléo, Beauregard, Musilac… il y avait Elton John le jour où on jouait ! [rires]
Camille : On pouvait faire des tours de bateau et le gars il voulait nous piquer notre tour !
Benoît : Tout ça parce qu’il s’appelle "Sir" Elton John. On a fait le Rock dans tous ses Etats aussi…
Vincent : Les Franco[folies] aussi. C’était moins ambiance festival pour le coup.
Camille : On a joué dans un théâtre. C’est pas notre terrain de prédilection.
Vincent : Ça nous a fait bizarre. On se dit à chaque fois qu’il faut qu’on y aille à fond et là on arrive dans un théâtre avec les gens assis. C’est un autre délire.
L’univers du festival, partager la scène avec d’autres artistes, qu’est-ce que ça a de particulier ? En quoi est-ce différent d’un concert ?
Benoît : Le turnover des artistes à la limite ce n’est pas le problème. Tu vois d’autant moins les artistes qu’il y en a plein. On n’est pas trop dans la proximité avec les autres musiciens. Par contre, le public, lui, par rapport à une salle, il a plusieurs endroits où aller voir de la musique. Du coup il faut le "catcher" !
Camille : [rires] Il parle franglais.
Benoît : Il faut l’attraper.
Luc : Il faut vraiment qu’on aille chercher les gens vu qu’ils sont de passage, tu vois. La plupart des gens restent une petite demie-heure, trois quarts d’heure. Et si tu arrives à rassembler 3000 personnes qui restent de A à Z, en général c’est que c’est gagné. Et puis il ne faut pas les lâcher, enchaîner vite. Il faut bien réfléchir à sa “setlist” aussi. On a quand même pas mal de chansons assez calmes, assez lentes dans le premier album et du coup on va plutôt favoriser les chansons assez rapides, plus rock...un peu plus énervées!
Benoît : Nous on sort vraiment grandi de cette tournée de festival. Au départ, on n’est pas spécialement à l’aise avec l’aspect divertissement. Et en fait, avec le temps, on s’est rendu compte que ce n’était pas la question de faire le forain mais juste de te demander ce que tu représentes sur scène. On se l’est vachement posé cet été. C’est personnel personnel mais j’ai l’impression qu’un album, quand tu le joues en live, il y a un temps avant que tu l’aies pleinement compris, que tu lui donnes pleinement son sens. Je sais qu’après cette tournée d’été je suis vachement plus à laise avec les morceaux. J’ai l’impression que j’ai fini de répondre à pas mal de questions.
Justement, comment transposez-vous votre musique, vos morceaux sur une scène de festival ?
Luc : On essaie de faire un show qui a du sens, qui est cohérent avec un début, un milieu, une fin. Il faut trouver des moments spécifiques pour créer l’interraction avec le public sans faire trop les forains parce que ce n’est pas notre truc. On ne va pas s’amuser à tutoyer le public, à leur demander de faire les "gogols", ça nous ressemble pas. Après il ne faut pas rester fermer. On essaie de faire quelque chose de très dynamique dans le live, quelque chose de plus péchu que le CD avec des guitares rock, un peu de batterie aussi.
Camille : Les choses se font naturellement. On est quatre à jouer d’un instrument ou plusieurs, et quand on a enregistré l’album on n’était pas quatre à jouer en même temps dans une cabine. On avait plus d’ordinateurs, de boîtes à rythme et moins de guitares que ce qu’on fait en live où il y a des guitares sur toutes les chansons en fait. Du coup c’est forcément… je ne sais pas si c’est plus "rock" mais en tout cas plus hargneux.
Benoît : Sur tous les qualificatifs "chelou" qu’on a pu avoir sur notre album, il y en a une qui me fait marrer c’est "garage digital". Je ne suis pas sûr que ça soit ce qu’on fait mais j’aime bien l’idée. Quand on a commencé Grand Blanc, on a découvert beaucoup de New wave hyper froide. Mais en même temps le garage ça nous a toujours fait "kiffer". On a tous envie de jouer fort, on a tous envie de jouer vite, on a tous envie de jouer bien. Du coup Grand Blanc en live c’est très différent du disque parce qu’on a envie d’être physiquement là avec nos instruments. Du coup on a trouvé la manière de le dire sans trahir les morceaux et là je crois qu’on est "au poil".
Vous laissez quand-même une part à l’inconnu quand vous êtes sur scène ?
Benoît : Il y a un peu d’impro mais pas trop pour pas te faire taper sur les doigts. Je dis ça pour mes essais de solos de guitare alors que je ne suis pas du tout un guitariste soliste. Les autres me disent : "Mec, t’as fait un riff, il marche bien...alors pourquoi tu ne joues pas le riff ?"
Camille : Ou au milieu d’un concert tu te dis : "Ah ben finalement on peut essayer ça" et tu oublies qu’il y a un mec qui est trente mètres plus loin qui s’appelle l’ingénieur lumière. Il a prévu ses tableaux pour chaque chanson. Donc tu peux improviser mais en prenant en considération le fait que t’es pas tout seul.
Luc : La dernière fois on s’est fait taper les sur les doigts. On a complètement changé l’ordre de la playlist et du coup c’était "Eh les mecs, j’ai un show qui est encodé, ce n’est pas possible ça!" [rires]
Benoît : On est encore un peu des gogols. On n’en revient pas d’avoir un ingénieur lumière.
De façon plus générale, comment vous vivez cette exposition qui est finalement assez récente ?
Benoît : On la vit bien. On est content. Je crois qu’on a entre quarante et cinquante dates après la sortie de l’album et il y en a un bon paquet derrière. On est un peu crevés par ce qu’au début on était tout fou et on n’a pas trop dormi. Du coup on s’est mis à boire des smoothies et à se coucher un peu plus tôt… Non mais on est content, on fait des gros festivals, des petits festivals avec des bons spots, des petites salles, des grosses salles, des premières parties. On est contents partout.
Revenons rapidement aux origines du groupe.
Benoît : On est quatre amis. On a plein de potes qui font de la musique mais on était quatre à en faire plus sérieusement. Moi, j’écrivais des chansons assez classiques guitare/voix. Luc et Corbel (Vincent, le bassiste) avaient des ordis avec un logiciel, des enceintes parce qu’ils étaient en école d’ingé son. Camille jouait de pleins d’instruments, elle chante très bien et elle était trop chaude pour faire de la musique. Au bout d’un moment, on a commencé à enregistrer des morceaux. C’était un peu de la chanson, un peu de l’électro, un peu du rock. On a découvert qu’on pouvait faire plein de truc en "autoprod". Et c’est né comme ça : quatre potes qui étaient chauds à faire de la musique et, à un moment, qui ont ouvert une espèce de boîte de pandore numérique. C’est plusieurs univers dans un accélérateur de particules.
Vincent : Un atelier formé par quatre gogols qui écoutaient des musiques différentes et qui ont découvert comment on la fabriquait. C’était assez ludique au début et on essaie de faire en sorte que ça le soit tout le temps. Renouveler ce truc un peu débile de “whoua, je touche un bouton et ça fait ça!”
Benoît : C’est vrai que pour l’instant ça nous a pas mal réussi. On devient un peu moins des "bleus" avec le temps mais c’est vrai que ça été assez rapide. On avait pas fait beaucoup de concerts quand notre label nous a contactés. Il ne s’est pas passé non plus énormément de temps avant qu’un tourneur nous fasse confiance. Et du coup on était du genre à dire : "non mais attendez les gars, il y a erreur. On a fait trois morceaux, on a tourné les boutons et ça a fait ça". Au final, la naïveté c’est un truc qu’on garde parce que pour l’instant, à chaque fois qu’on essaie de rester naïf ça marche et les retours sont bons. Du coup, c’est une histoire de quatre débiles qui tournent des boutons. C’est une crise d’adolescence hyper tardive.
J’ai lu que vous aviez dit de votre musique qu’elle était “topographique”. Un éclairage sur ce terme ?
Camille : [rires] C’est moi qui ai dit ça ahah! Ça s’est retrouvé en gras partout. Non mais c’était…
Benoît : C’était une erreur!
Camille : Non ce n’était pas une erreur. En vrai ça ne veut rien dire. Ce qui est topographique ce sont des cartes…
Benoît : Non mais si, ça peut l’être.
Camille : Oui mais c’est une sorte de métaphore.
Benoît : Pas vraiment. C’est beaucoup les paroles qui sont topographiques parce que, en gros, il n’y a pas d’histoire; ou alors c’est un embryon d’histoire. Par contre, il y a un univers représenté, créé, physique qui est fort et qui est presque un personnage. Et l’EP, il était pas mal basé sur des questions comme "d’où tu viens ?", "où tu vas ?", "qui tu es ?". Et c’était un premier album qui parlait de Metz et de Mantes-la-Jolie pour Vincent. Mais c’est un peu le même combat. Ce sont des endroits un peu pétés où tu t’ennuies, tu te cherches. On a pris l’habitude de faire des chansons où il n’y a pas de sujets précis mais où on brasse des images presque physiques du quotidien : le béton, l’arrêt de bus, la figure paternelle. Parce que les chansons d’amour qui racontent des histoires d’amour qui ressemblent à d’autres histoires d’amour ça nous fait chier parce qu’elles manquent à coup sûr d’amour. L’amour ce n’est pas la question de son idée, de ce qu’il est ou de sa définition. C’est la question de où tu le vis, avec qui tu le vis, avec quel visage, avec quelle odeur, avec quelle matière.
C’est vrai que la ville, l’urbanité sont des thèmes très présents dans votre musique.
Camille : Ce sont surtout les lieux. L’EP ça parle un peu de Metz, c’est le décor. La pochette rappelait le décor de cette ville fantasmée par nous.
Benoît : Et l’album c’est pareil. On avait besoin de parler de la ville, de parler de la nuit, de l’espace-temps. Après les chansons d’amour qui manquent d’amour, en vrai il y en a de très bien mais c’est pas pour ça qu’on fait de la musique. On essaie de faire de la musique pour très concrètement s’adapter au quotidien et en espérant que ce soient des formes qui puissent permettent à des gens de s’adapter à ce qu’ils vivent. Et il y a beaucoup de gens qui vivent dans des grosses villes. Il y beaucoup de chansons sur les fleurs, sur la mer et il y a peu de gens qui vivent entourés de fleurs. Du coup on fait de la musique sur des gares, du béton et parfois des histoires d’angoisse qui se passent toujours dans du quotidien. C’est plus concret et plus sincère pour nous.
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