Toutes les musiques russes à la Folle Journée de Nantes
La musique russe n'existe pas avant 1850. Ou plus exactement elle est cantonnée à la liturgie orthodoxe, aux chœurs des moines et à leurs magnifiques voix de basses. Quant au peuple russe, il fait exister à l'occasion des mariages ou des fêtes de village un répertoire folklorique très original. Mais ces racines purement slaves sont méprisées par la bourgeoisie et l'aristocratie qui regardent vers l'Europe, la musique allemande, italienne, française…
La naissance : Glinka, Le groupe des 5
Cette influence "européenne" ressemble pour beaucoup de Russes à une soumission. La musique russe va donc prendre son essor avec les écoles nationales.
Mikhaïl Glinka(1804-1857), le pionnier, se donne comme mission "d'unir le chant populaire russe et la bonne vieille fugue d'Occident". On entendra à Nantes l'emblématique ouverture de l’Opéra "Russlan et Ludmila" et diverses œuvres de ce père fondateur, qui se place au carrefour du folklore et de la musique savante.
Tous ses successeurs s'inspireront de ses principes. Les premiers à le faire se réunissent sous le nom de "groupe des 5". De Mily Balakirev (1837-1910), on entendra à Nantes "Islamey", fantaisie "orientalisante" pour un piano d'une virtuosité diabolique.
Alexandre Borodine (1833-1887) nous est plus familier, grâce aux rutilantes "Danses Polovtsiennes" de l'opéra "Le prince Igor", de même que la "Schéhérazade" de Nikolaï Rimsky-Korsakov (1844-1908), immense poème symphonique inspiré des "Mille et une nuits".
Le génie de ce "groupe des 5" est Modest Moussorgsky (1839-1881); mais génie maladroit, dont les harmonies heurtaient au point qu'on l'accusait de ne pas connaître son métier. Il mourra d'alcoolisme et de solitude malgré le soutien de Rimsky. Les "Tableaux d'une exposition" pour piano, la "Nuit sur le Mont Chauve", les magnifiques "Chants et danses de la Mort" pour voix, seront entendus à Nantes .
Le décor est posé: Borodine était chimiste de profession, moussorgsky officier, Rimsky-Korsakov marin. Les voici reconvertis en musiciens : leur science musicale s'appuie sur une richesse mélodique inouïe, nourrie du folklore. Plus qu'aucune autre la musique russe se chante. C'est évidemment le cas de tout ce qu'a écrit le musicien russe peut-être le plus célèbre: Piotr Illyitch Tchaikowsky (1840-1893).
Tchaikovsky, La mélodie reine.
On a oublié combien Tchaïkowsky était méprisé chez nous dans les années 1960-70: trop sentimental, trop occidental, trop aimé du public. Il est vrai que, comme celle de Chopin, sa musique peut prêter à tous les excès. Il écrivait pourtant à son frère: "Je suis russe, russe, russe jusqu'à la moelle des os" et ce sont les Russes, en particulier, qui nous ont appris depuis comment entendre et jouer ses œuvres. L'impact des mélodies du "Lac des Cygnes", de "Casse-Noisette", du concerto pour violon a fait le reste auprès du grand public : mélodies moins orientalisantes que celles du groupe des 5, plus proches des romances mélancoliques de la Russie profonde.
Tchaikovsky sera, bien sûr, une des stars de Nantes.
Rachmaninov, le dernier romantique
Comme le sera Serguei Rachmaninov (1873-1943) qui a souffert chez nous du même mépris. On n'a longtemps connu de lui que son 2e concerto pour piano (1901), torrent de mélodies charmeuses et d'émotion à fleur de peau, facilement tapageuses en de mauvaises mains. Rachmaninov est mort le dernier des romantiques en un temps où tous les courants du XXe siècle avaient déjà bouleversé le monde musical. Dix ans après sa mort, un pianiste aussi grand que Glenn Gould trouvera sa musique "définitivement immonde". 4 concertos pour piano d'une folle virtuosité seront joués à Nantes par Adam Laloum, Boris Berezovsky, Nicolas Angelich. On entendra aussi à Nantes "Les Cloches" de 1913, rare fresque symphonique et choral sur les quatre âges de la vie, d'après un texte d'Edgar Allan Poe.
Scriabine, la découverte nantaise : "un clavier de lumière" pour une expérience unique le 4 février
Contemporain de Rachmaninov et formidable pianiste comme lui, Alexandre Scriabine (1872-1915) sera pour beaucoup la grande découverte de ces "Folles journées". Après avoir écrit des études et des préludes dans la veine de Chopin, Scriabine trouve son langage: 10 sonates pour piano denses et ramassées (10 minutes à peine) et des pièces brèves mystérieuses et mystiques où il oublie la tonalité, éclabousse le clavier d'envolées lyriques hallucinées.
Vous allez vivre à Nantes, l'expérience de "Prométhée" où chaque note du piano du tout jeune et brillant Andrei Korobeinikov est reliée, selon les vœux même de Scriabine, à un "clavier de lumière", pour déchaîner un kaléidoscope chatoyant, visuel autant qu'auditif. Expérience jamais tentée en concert, réalisée deux fois le samedi 4 février entre 12 heures et 14 heures…
Rachmaninov et Scriabine relient le XIXe et le XXe siècle. Les bouleversements de la Révolution de 1917 n'empêchent pas la Russie artistique d'être à l'écoute de son temps. Trois visages émergent d'un pays qui s'appelle désormais l'URSS.
Trois génies du XXe siècle, Strawinsky, Prokofiev, Chostakovitch
Igor Strawinsky, né en 1882, est le Picasso de la musique. Comme Picasso avec les "Demoiselles d'Avignon", il révolutionne la musique avec "Le sacre du Printemps" (1913), ballet de Ninjinsky, d'une modernité qui stupéfie et scandalise les auditeurs parisiens de la création. Son génie épouse tous les courants musicaux comme Picasso ceux de la peinture. On entendra aussi à Nantes son « Oiseau de feu" (1908), son premier grand ballet, héritier oriental et déjà révolutionnaire de Rimsky-Korsakov.
Le destin de Serguei Prokofiev (1891-1953) est plus contrasté. C'est l'un des premiers à faire du piano un instrument de percussion, avec une violence rythmique que lui permet sa virtuosité d'interprête: ses 2e et 3e concertos pour piano, ses amères "sonates de guerre" (1942-43) en sont les joyaux… et ils seront nantais. Prokofiev rentre en URSS dans les années 30, il y compose encore quelques chefs d’oeuvre : "Pierre et le Loup", "Roméo et Juliette", et meurt, par un hasard inouï, le même jour que Staline.
Le régime stalinien met la musique et les compositeurs sous surveillance et, parmi eux, le meilleur de tous, Dimitri Chostakovitch (1906-1975). Chostakovitch, d'une inspiration souvent noire, sarcastique, voire désespérée. Et diverse: les gages donnés au régime, opérettes "soviétiques", valses-rengaines, symphonies célébrant le siège de Léningrad, 1905, 1917 (et qui, pourtant, sont des merveilles). Mais aussi les quatuors à cordes, d'humeur si sombre et si pudique, le concerto "jazzy" pour piano et trompette (que jouera aussi l'inépuisable pianiste Korobeinikov), la 5e symphonie, la plus "facile" d'écoute mais non la moins belle, nantaise elle aussi. Chostakovitch, décidément l'un des plus grands maîtres du XXe siècle.
La Russie, en moins de deux siècles, est devenue un lieu incontournable de la planète musicale. Ses compositeurs ont su prendre constamment en compte, dans leur création, la dimension populaire.
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