Sexy, drôle, intelligent : irrésistible "Belle Hélène" d'Offenbach au Châtelet !
Un avion à la tête de requin, une plage de riviera, un hors bord de luxe avec de jolies filles mi-nues à l'intérieur, la silhouette de Audrey Hepburn avec grand chapeau et lunettes de soleil… Hollywood fait son apparition sur le plateau du Théâtre du Châtelet à l'occasion de cette nouvelle "Belle Hélène".
C'est la troisième création dans ce lieu du metteur en scène Giorgio Barberio Corsetti avec le vidéaste plasticien Pierrick Sorin après "La Pietra del paragone" de Rossini en 2007 (repris l'année dernière) et "Le Couronnement de Poppée" de Monteverdi (qui devient "Pop'pea") en 2012. Et le duo n'a pas lésiné sur les moyens. Mais autant le dire tout de suite : si cette production de l'un des monuments de l'opéra bouffe français est une réussite, c'est que la fantaisie, voire la folie que proposent Barberio Corsetti et Sorin, leur surenchère en drôlerie reposent avec pertinence et inventivité sur des éléments comiques existant déjà dans la partition d'Offenbach.
L'écriture comique d'Offenbach
L'histoire est relativement simple. L'action se déroule il y a 4 000 ans dans la Grèce ancienne : la très jolie Hélène, bien que mariée (et à pas à n'importe qui, au roi de Sparte, Ménélas) traîne une réputation de sacrée croqueuse d'hommes. La belle l'assume, consciente de ses atouts et persuadée que la "fatalité" – mot clé de l'opéra - fait toujours si bien les choses… Sa mère, Vénus, a pris une nouvelle initiative : elle a promis au prince troyen Pâris la plus belle femme du monde… qui ne peut être qu'Hélène. Alors, quand se profile à l'horizon son idylle avec un beau berger qui apparaît et qui n'est autre que Pâris, personne ne s'en étonne. Et surtout pas les rois de Grèce, devin et divinités au complet pour qui cette attirance mutuelle est un secret de Polichinelle. Cocu, et isolé de tous, le roi Ménélas n'a d'autre choix que de se résigner à voir échapper sa belle et jeune épouse…Sur une musique savamment simple, Offenbach et ses librettistes Meilhac et Halévy signent une œuvre dont la seule ambition est de divertir. Le thème - présent dans tous les marivaudages - est universel et intemporel, mais la moquerie est fine d'une certaine caste dirigeante, ici représentée par les rois et les dieux. Un exemple : Oreste, fils du roi Agamemnon (merveilleusement campé par le jeune contre-ténor Kangmin Justin Kim), un jeune fêtard entouré de courtisanes, chante dès le premier acte : "C'est avec ces dames qu'Oreste Fait danser l'argent à papa ; Papa s'en fiche bien au reste Car c'est la Grèce qui paiera". A ces mots, aujourd'hui, l'auteur devrait évidemment ajouter : c'est l'Europe qui paiera… Irresponsables, les puissants sont montrés par Offenbach dans leur grossièreté (le kitch de leurs tenues leur va si bien), leur ignorance (les jeunes têtes couronnées sont incapables de résoudre la moindre charade…) et leur attitude peu glorieuse (le grand Augure Calchas triche même au jeu de l'oie)…
Un film d'animation en direct
Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin parviennent donc à sublimer l'intelligence comique d'Offenbach. Avant tout par le parti pris scénographique qui existait déjà dans les précédentes œuvres présentées au Châtelet.Sur scène coexistent deux niveaux de spectacle : le premier, à même les planches, voit défiler les chanteurs et autres acteurs sur un fond bleu, comme celui utilisé dans les studios télé pour y présenter les cartes météo ; le deuxième niveau est constitué d'un écran suspendu au dessus des chanteurs sur lequel sont animés en direct des tableaux vidéo. Ce sont des tableaux réalisés "en direct, par compositing", explique Pierrick Sorin, dans la présentation de l'opéra, "en superposant les chanteurs à des décors ou en créant des effets visuels directs".
Une technique qui offre ainsi au spectateur l'illusion d'un décor ouvert à tous les possibles, réels ou imaginaires : ainsi Pierrick Sorin peut s'amuser de la présence sur scène d'une motocyclette, d'un hors-bord ou d'avion mais surtout de l'impression de mouvement. Ce système, entre technologie et bricolage, offre aussi quelques moments de grande poésie : comme la "scène des robes", sur une introduction musicale à l'acte II, dans laquelle le spectateur croit voir des robes aux couleurs franches danser, dépourvues de corps. En réalité, celles-ci sont portées par de gracieuses silhouettes de couleur bleue invisibles à la projection. Au-delà du jeu que cela représente, le vidéaste a inventé, selon Giorgio Barberio Corsetti, "un dispositif de théâtre optique avec une forme de simplicité, héritée de Méliès", selon les propos tenus dans la même présentation. Le côté comique s'en voit renforcé. La dimension cinématographique aussi, extrêmement présente dans cet opéra.
Poétique et sexy
Poétique, "La Belle Hélène" de Barberio Corsetti et Sorin sait également rester terre à terre et offre de savoureuses et amusantes scènes sexy : si celle, célèbre, du songe d'amour entre Hélène et Pâris reste chaste, la scène de "l'anarchie conjugale" (punition de Vénus) est une claire évocation de l'échangisme. La palme revient au tableau de famille d'Hélène, où pendant plusieurs minutes une Vénus allongée lascivement, très légèrement vêtue, se fait bécoter et lécher par son cygne d'amant…Mais la mise en scène de "La Belle Hélène" repose également sur le jeu des chanteurs qui, récitant comme des comédiens professionnels, mouillent véritablement leur chemise en jouant sur l'autodérision. On a cité Kangmin Justin Kim (Oreste), remarquable tout au long des trois actes. Le baryton-basse Jean-Philippe Lafont, qui fait Calchas, grand augure de Jupiter, est également très convaincant et joue avec humour de sa silhouette… Et que dire du baryton Marc Barrard (qui incarne le roi des rois, Agamemnon), à la ressemblance appuyée avec Al Pacino ? Ou du ténor Gilles Ragon, en Ménélas, en partie dénudé tout au long du dernier acte ? Aucun des chanteurs ne démérite. Et surtout pas le ténor turc Merto Sungu (Pâris) ni, enfin, la jeune mezzo-soprano Gaëlle Arquez qui gagne ici ses galons en incarnant avec conviction et beaucoup d'humour une Belle Hélène désireuse de rencontres. Acte I scène 4 : "Plus d'amour ! plus de passion ! Et nos pauvres âmes malades Se meurent de consomption... Ecoute-nous, Vénus la blonde, Il nous faut de l'amour, n'en fut-il plus au monde !"
La Belle Hélène au Théâtre du Châtelet
Jusqu'au 22 juin
Direction musicale de Lorenzo Viotti
Mise en scène, scénographie et vidéo
De Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin
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