Sabine Devieilhe bouleversante dans "Hamlet" à l’Opéra-Comique
Cet "Hamlet" d’Ambroise Thomas suit assez bien la tragédie de Shakespeare, au détail près qu’Hamlet survit à Ophélie et monte sur le trône. Il a reçu les ovations d’un public conquis, et par la musique d’Ambroise Thomas, et par la direction exigeante de Louis Langrée, et même par la mise en scène (Cyril Teste peut venir saluer sans subir la bronca du public, les applaudissements l’emportant largement…)
Redécouverte d'un compositeur injustement tombé dans l'oubli
C’est dire si le fantôme d’Ambroise Thomas peut verser des larmes heureuses. Car voilà un compositeur fêté comme peu de son temps, jusqu’à la fin de sa vie (1896) où, en matière musicale, on était passé à autre chose (Debussy, Mahler, Ravel, prenaient leur envol) compositeur qui, depuis, semble avoir subi les effets du mot cruel d’Emmanuel Chabrier : "Il y a trois sortes de musique : la bonne, la mauvaise et celle d’Ambroise Thomas". Qu’avait-elle donc, cette musique, pour déplaire au brave Chabrier ? Car elle n’a pas vieilli particulièrement, cette partition, un peu longue peut-être, mais qui est d’un homme qui connaît son métier : belle écriture orchestrale, sens des effets dramatiques (ces violentes montées de cordes, ces crescendos emplis de drames) avec une jolie coloration de la part des vents (cor, cor anglais, trombone, hautbois et aussi le saxophone qui était encore un instrument neuf en 1868, date de la création d’"Hamlet").Partition exigeante
Quant au traitement des voix, il est assassin… et donc propice à plaire aux amateurs. C’est peut-être là que le bât blesse un peu : au-delà de la fascination immédiate exercée par les lignes de chant vertigineuses que Thomas impose à ses chanteurs, on se rend compte à la fin qu’on est incapable de fredonner le moindre air, à l’exception du "Pâle et blonde" (merveilleusement défendu par Sabine Devieilhe), qu’Ophélie chante avant de mourir et qui est une mélodie traditionnelle suédoise car Christina Nilsson, soprano colorature créatrice du rôle, venait de Suède.Sabine Devieilhe comble nos attentes
Ambroise Thomas brise systématiquement la ligne de chant par un recours à des notes aiguës ou graves qui demandent aux chanteurs une particulière endurance. Il aime aussi séparer l’orchestre et la voix, lesdits chanteurs livrant une phrase a cappella, que l’orchestre va colorer ensuite de dramatisme ou de douceur. Ainsi faut-il de très grandes voix pour défendre une telle partition. On connaît l’étendue de celle de Sabine Devieilhe, ses qualités musicales. Elle comble nos vœux. Mais, plus encore, elle compose une Ophélie bouleversante, qui sombre peu à peu dans la folie, aussi parce qu’elle s’est toujours crue indigne d’Hamlet.En Hamlet Stéphane Degout est remarquable de musicalité, de projection, de puissance sonore, tout en rendant remarquablement la mélancolie profonde du prince, son sentiment constant d’être ailleurs, sa relation au père assassiné qui, plus encore chez Thomas que chez Shakespeare, relève vraiment de la psychanalyse…Scène admirable que la confrontation d’Hamlet et de sa mère, la reine Gertrude, complice du meurtrier et qui, affolée, accablée par la violence de son fils, sombre soudain dans un sentiment de remords (réel ou feint ?) éperdu. Sylvie Brunet-Grupposo, avec ses graves profonds de vraie contralto, propose une Gertrude très touchante. Les autres rôles (dont le roi meurtrier de Laurent Alvaro et le père spectral de Jérôme Varnier aux interventions, belle idée, qui se font sur la même note tenue) vont du bon à l’honnête. Et Louis Langrée mène ses troupes avec une énergie, un amour de cette musique, qui sont un bonheur constant.
Belle utilisation de la vidéo
Cyril Teste signe une mise en scène sobre, d’une monarchie contemporaine aux lourds secrets sanglants. Il utilise la vidéo à bon escient, partant du principe assez malin que le palais d’Elseneur (où se passe l’histoire d’Hamlet), c’est… l’Opéra-Comique. Ainsi on assiste hors-champ à plusieurs scènes filmées dans le théâtre, des profondeurs duquel surgit le fantôme du père, énorme silhouette inscrite sur un immense écran qui écrase son fils réduit, lui, à une petite figure. On passera ainsi sur quelques utilisations vidéastes inutiles, un décor assez laid et des scènes de foule parfois confuses, en particulier celle du "meurtre de Gonzague", pourtant capitale car Hamlet y révèle (dans l’indifférence) l’identité du meurtrier de son père.A la fin, contrairement à l’hécatombe shakespearienne, Hamlet montera sur le trône : le regard terrifié de Degout face à cette responsabilité est une belle trouvaille finale qui parachève la redécouverte d’un compositeur dont l’oubli qui l’entoure aura semblé immérité, Chabrier ou pas, à un public enthousiaste.
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