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Roberto Alagna boit "L’élixir d’amour"… et nous du petit lait

A l’Opéra-Bastille, reprise de la délicieuse mise en scène de Laurent Pelly de ce bijou d’opéra joyeux qu’est "L’élixir d’amour" de Donizetti. Mais à la distribution pâlichonne d’origine succède cette fois une affiche éclatante, où brille un Roberto Alagna qui chante pour la première fois à Paris le rôle de Nemorino.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak
 (Vincent Pontet)

Délicieuse, joyeuse et tendre, mélancolique et légère : le sourire et les larmes. Le gentil Nemorino est amoureux de la riche paysanne Anina, qui le regarde de haut, comme regardent ce grand benet toutes les filles du village. Anina soupire davantage pour le sergent Belcore (« Joli cœur »): ah! le prestige de l’uniforme. Grâce à l’élixir d’amour du docteur Dulcamara (en réalité une bouteille de Bordeaux !)… et à bien des quiproquos, Nemorino réussira enfin à conquérir sa belle.

L'Italie des années 50

Pelly avait eu l’idée charmante de transposer cette histoire rurale dans l’Italie des années 50. L’époque des Vespa, des robes à fleurs, des ragazzi gominés «pauvres mais beaux» (titre d’un film de Dino Risi), des filles coquettes à la Sophia Loren, à la Gina Lollobrigida (la guerre des « Lolos », en référence à leurs décolletés pigeonnants), à la Silvana Pampanini (surnommé, pour les mêmes raisons, la « Pampanéné »!)
Des décors de Laurent Pelly
 (Vincent-Pontet)

Meules de foin où l’on fait la sieste, bals de village aux lampions de couleurs, vélos à hauts guidons, des groupes de paysannes marchant sur la route brune, un chien qui passe, un château d’eau qui se détache, au loin, dans le crépuscule : merveille de décor (de Pelly lui-même). Mais ce qui nous saute aux yeux neuf ans (déjà !) plus tard, ce n’est plus tellement l’italianité de l’atmosphère (malgré le «bar trattoria » et le superbe rideau publicitaire tout à la gloire, dans la langue de Dante, de l’élixir-miracle de Dulcamara) mais son universalité, dans une campagne, insiste Pelly, « à côté du temps comme ce village est à côté de la grand’route ». Et nous vient à l’esprit le récent «Journal d’en France » de Depardon, de cette France oubliée, à l’écart, où les gens et les choses vieillissent doucement dans l’ordre immuable des jours, de sorte que c’est désormais la profonde mélancolie de la mise en scène qui nous frappe, plutôt que son côté joyeux.

Alagna et son délicieux Nemorino

« Una furtiva lacrima » en est le reflet. C’est le tube de l’œuvre, chanté par tous les ténors du monde. Alagna, assis dans le foin, éclairé, dans le crépuscule, par les premières étoiles qui scintillent comme des lucioles, le prend « mezza voce », sur le souffle (lui qui l’a si souvent lancé à pleins poumons) et on est aussitôt ému : les aigus n’ont plus l’insolence d’antan mais justement c’est aujourd’hui l’émotion qui prime, dans ce moment où le joyeux Nemorino montre pour l’unique fois un cœur qui souffre. 

Ces minutes de grâce (auxquelles le public fait un juste triomphe), qui arrivent à la fin de l’œuvre, en sont le couronnement. Alagna n’avait jamais chanté Nemorino à Paris, et c’est à peine croyable, lui qui l’a enregistré bien des fois (avec Angela Gheorghiu, son épouse, il y a dix-huit ans). Séance de rattrapage, donc, et quelle ! Son Nemorino est délicieux, grand garçon touchant auquel le quinquagénaire Alagna réussit à restituer son âge de gamin tardif, facétieux, pas très malin mais franc comme l’or. La voix n’est jamais forcée (tendance qu’il développait un peu trop ces dernières années), le timbre, d’argent, est bien là, la beauté musicale et la justesse rythmique constantes, sa prestation est un bonheur, de musicien et de comédien. 

Alexsandra Kursak, voix ravissante et excellente comédienne

Alexsandra Kurzak, dont on avait apprécié (sans plus) un disque de bel canto rossinien il y a deux ans, fait ses débuts à l’opéra de Paris. Elle est très bien. Son Anina, voix ravissante, beau contrôle du souffle, a les emportements latins d’une Angela Gheorghiu à qui, forcément, l’on pense. Elle se montre aussi une excellente comédienne, finement dirigée par Pelly. On est moins convaincu par le Belcore de Mario Cassi : la voix manque de graves (c’est ennuyeux pour un baryton), l’incarnation manque de relief. Le personnage, qui pourrait être vraiment burlesque, n’a d’ailleurs guère intéressé Pelly. Contrairement à Dulcamara dont Ambrogio Maestri fait un caractère spectaculaire, tout en rondeur et en rouerie bonhomme. Jolie Giannetta de Melissa Petit, jeune Française de 25 ans de la troupe de l’opéra de Zurich, comme quoi nul (et les Français encore moins) n’est prophète en son pays ! 
  (Vincent Pontet)

Dès l’ouverture le vétéran Donato Renzetti trouve l’équilibre de l’œuvre, entre ardeur heureuse et amertume, servi par le brillant duo de flûtes de Céline Nessi et Pierre Dumail. Il tient joliment son orchestre et ses chœurs mais il y a pas mal de décalages entre la fosse et les solistes. Cela se règle. D’autant qu’on sentait les chanteurs, en ce soir de première, et notre Alagna particulièrement, presque étonnés de l’accueil enthousiaste du public. Etonnés et ravis. Comme nous l’étions, nous, en sens inverse.
  (Vincent Pontet)

« L’élixir d’amour » de Donizetti à l’Opéra-Bastille
Mise en scène de Laurent Pelly
Direction musicale de Donato Renzetti
Jusqu’au 25 novembre

Place de la Bastille, 75012 Paris
0 892 89 90 90


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