Cet article date de plus de dix ans.
Rencontre : le cinéaste Benoît Jacquot reprend "Werther" de Massenet à Bastille
Après ses débuts à Londres dans la mise en scène d'opéra il y a dix ans, Benoît Jacquot reprenait en 2010 à l'Opéra Bastille "Werther" avec le chef Michel Plasson et Jonas Kaufmann dans le rôle titre. Un succès inégalé qui l'a encouragé à poursuivre, cette fois avec le ténor Roberto Alagna, dans l'attente de la création, en juin prochain, de "La Traviata". Du cinéma à l'opéra ...
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- Culturebox : Fini, le cinéma ?
- Benoît Jacquot : Pas du tout ! Je finis actuellement le montage de « Trois cœurs », tourné à l’automne dernier, avec notamment Benoît Poelvoorde et Charlotte Gainsbourg. Et je prépare une nouvelle version du « Journal d’une femme de chambre » à tourner cet été, avec Léa Seydoux (que j’ai eu dans « Les adieux à la Reine ») et Vincent Lindon. Et, c’est vrai, j’ai aussi l’opéra, deux chantiers cette année : la reprise de « Werther », avec un nouveau ténor, Roberto Alagna, ce qui m’a demandé quelques réajustements ; et la création, en juin, de « La Traviata » à Bastille. - A quoi aspiriez-vous en vous engageant à l’opéra ?
- J’avais envie de faire une mise en scène dont le scénario serait la musique. Non pas le livret, auquel il faut certes se tenir, mais qui ne compte pas fondamentalement. Le vrai moteur est la musique qui sort de la fosse. C’est pourquoi, souvent, je fais venir les interprètes très près de la fosse, de l’orchestre et du public, comme s’ils sortaient du décor et de l’histoire pour se livrer entièrement à la musique. On ne mesure pas l’athlétisme physique et affectif qu’est le fait de chanter à l’opéra. Or, il ne se dévoile authentiquement que si l’interprète est, ainsi, dos à la scène, comme en position d’offrande pour la musique et pour le public. A ce moment-là je touche quelque chose qui justifie mon travail à l’opéra. - Quel est votre rapport aux chanteurs ? Depuis que vous mettez en scène de l’opéra, vous avez eu affaire à de véritables stars, de Jonas Kauffman à Roberto Alagna en passant par Rolando Villazon ou Karine Deshayes…
- Ce sont effectivement de véritables stars. Le fait d’être un réalisateur crée un rapport sans doute particulier parce que le cinéma impressionne toujours les artistes, et parmi eux les chanteurs. Il y a toujours chez eux l’espoir que quelque chose de nouveau puisse surgir et les fasse sortir des sentiers battus. - Est-ce le cas ?
- Aucun des chanteurs avec lesquels j’ai travaillé n’avait chanté si près de fosse et n’avait donc ressenti à la fois le risque encouru (il a fallu mettre un filet), le son qui « explose » depuis l’orchestre et la proximité avec le public. Pour ce qui est, en revanche, des gestes un peu convenus que l’on voit souvent à l’opéra, je ne leur donne pas d’importance et donc ne m’y oppose pas s’ils viennent spontanément. Enfin, la seule chose que je ne parviens pas à obtenir, c’est qu’on chante de dos, car les chefs d’orchestre s’y opposent. Au cinéma comme au théâtre, j’aime mettre en scène les interprètes de dos, pour ne voir leurs visages qu’au moment où ils se retournent. Ainsi, dans « Werther », Roberto Alagna accepte volontiers d’être dos au public lorsque Karine Deshayes chante, face à lui et ne se retourne qu’au moment de chanter à son tour. - Vous connaissez Roberto Alagna depuis longtemps…
- Oui depuis « La Tosca » que j’ai filmée en 2001. C’était mon premier ténor ! J’ai beaucoup d’affection pour lui et il a une grande confiance en moi. C’est un chanteur très généreux avec ses partenaires, même si ses nombreuses activités musicales lui laissent moins de temps pour les répétitions. Je l’aime beaucoup en Werther, tout en retenue et en force à la fois. Et, avec une diction parfaite, chose rare, ce qui compte pour cet opéra français du XIXè, où le sens des mots est important ; « laisse couler mes larmes » : il faut l’entendre !
- Revenons à « Werther » : y a-t-il dans cet opéra une « photographie » particulière, au sens cinématographique ?
-Oui, il y a photographie, si on l’entend comme écriture de lumière, surtout la mise en scène de l’acte III. D’ailleurs, pour les lumières, j’ai fait appel à André Diot à qui appartiennent certains effets, des reliefs et des ombres. Il a une pratique très sûre et très sensible de l’obscurité ou de la clarté. Mais c’est de la dramaturgie, pas du cinéma, même si ça rappelle les jeux d’ombres de l’expressionnisme allemand, de Murnau et de Dreyer, ce dernier a eu une réelle influence sur moi. - Comment envisagez-vous votre « Traviata » ?
- Elle est articulée autour de trois éléments clé : un lit, un arbre et un escalier, tous trois d’une taille immense. Comme des signes emblématiques de ce qu’on appelle un « tableau » et qui s’imposent par leur gigantisme sur tout le reste.
- L’opéra a-t-il une influence sur votre manière de faire du cinéma ?
- Même si le contenu et le point de vue de mes films restent les mêmes, d’après mes proches, il y aurait depuis que je fais de l’opéra, un lyrisme, un pathos auquel je ne me refuserais plus…
« Werther » de Massenet à l’Opéra Bastille
Jusqu’au 12 février
- Benoît Jacquot : Pas du tout ! Je finis actuellement le montage de « Trois cœurs », tourné à l’automne dernier, avec notamment Benoît Poelvoorde et Charlotte Gainsbourg. Et je prépare une nouvelle version du « Journal d’une femme de chambre » à tourner cet été, avec Léa Seydoux (que j’ai eu dans « Les adieux à la Reine ») et Vincent Lindon. Et, c’est vrai, j’ai aussi l’opéra, deux chantiers cette année : la reprise de « Werther », avec un nouveau ténor, Roberto Alagna, ce qui m’a demandé quelques réajustements ; et la création, en juin, de « La Traviata » à Bastille. - A quoi aspiriez-vous en vous engageant à l’opéra ?
- J’avais envie de faire une mise en scène dont le scénario serait la musique. Non pas le livret, auquel il faut certes se tenir, mais qui ne compte pas fondamentalement. Le vrai moteur est la musique qui sort de la fosse. C’est pourquoi, souvent, je fais venir les interprètes très près de la fosse, de l’orchestre et du public, comme s’ils sortaient du décor et de l’histoire pour se livrer entièrement à la musique. On ne mesure pas l’athlétisme physique et affectif qu’est le fait de chanter à l’opéra. Or, il ne se dévoile authentiquement que si l’interprète est, ainsi, dos à la scène, comme en position d’offrande pour la musique et pour le public. A ce moment-là je touche quelque chose qui justifie mon travail à l’opéra. - Quel est votre rapport aux chanteurs ? Depuis que vous mettez en scène de l’opéra, vous avez eu affaire à de véritables stars, de Jonas Kauffman à Roberto Alagna en passant par Rolando Villazon ou Karine Deshayes…
- Ce sont effectivement de véritables stars. Le fait d’être un réalisateur crée un rapport sans doute particulier parce que le cinéma impressionne toujours les artistes, et parmi eux les chanteurs. Il y a toujours chez eux l’espoir que quelque chose de nouveau puisse surgir et les fasse sortir des sentiers battus. - Est-ce le cas ?
- Aucun des chanteurs avec lesquels j’ai travaillé n’avait chanté si près de fosse et n’avait donc ressenti à la fois le risque encouru (il a fallu mettre un filet), le son qui « explose » depuis l’orchestre et la proximité avec le public. Pour ce qui est, en revanche, des gestes un peu convenus que l’on voit souvent à l’opéra, je ne leur donne pas d’importance et donc ne m’y oppose pas s’ils viennent spontanément. Enfin, la seule chose que je ne parviens pas à obtenir, c’est qu’on chante de dos, car les chefs d’orchestre s’y opposent. Au cinéma comme au théâtre, j’aime mettre en scène les interprètes de dos, pour ne voir leurs visages qu’au moment où ils se retournent. Ainsi, dans « Werther », Roberto Alagna accepte volontiers d’être dos au public lorsque Karine Deshayes chante, face à lui et ne se retourne qu’au moment de chanter à son tour. - Vous connaissez Roberto Alagna depuis longtemps…
- Oui depuis « La Tosca » que j’ai filmée en 2001. C’était mon premier ténor ! J’ai beaucoup d’affection pour lui et il a une grande confiance en moi. C’est un chanteur très généreux avec ses partenaires, même si ses nombreuses activités musicales lui laissent moins de temps pour les répétitions. Je l’aime beaucoup en Werther, tout en retenue et en force à la fois. Et, avec une diction parfaite, chose rare, ce qui compte pour cet opéra français du XIXè, où le sens des mots est important ; « laisse couler mes larmes » : il faut l’entendre !
- Revenons à « Werther » : y a-t-il dans cet opéra une « photographie » particulière, au sens cinématographique ?
-Oui, il y a photographie, si on l’entend comme écriture de lumière, surtout la mise en scène de l’acte III. D’ailleurs, pour les lumières, j’ai fait appel à André Diot à qui appartiennent certains effets, des reliefs et des ombres. Il a une pratique très sûre et très sensible de l’obscurité ou de la clarté. Mais c’est de la dramaturgie, pas du cinéma, même si ça rappelle les jeux d’ombres de l’expressionnisme allemand, de Murnau et de Dreyer, ce dernier a eu une réelle influence sur moi. - Comment envisagez-vous votre « Traviata » ?
- Elle est articulée autour de trois éléments clé : un lit, un arbre et un escalier, tous trois d’une taille immense. Comme des signes emblématiques de ce qu’on appelle un « tableau » et qui s’imposent par leur gigantisme sur tout le reste.
- L’opéra a-t-il une influence sur votre manière de faire du cinéma ?
- Même si le contenu et le point de vue de mes films restent les mêmes, d’après mes proches, il y aurait depuis que je fais de l’opéra, un lyrisme, un pathos auquel je ne me refuserais plus…
« Werther » de Massenet à l’Opéra Bastille
Jusqu’au 12 février
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