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"Kurt Weill Story" à l’Amphithéâtre Bastille : le monde du spectacle selon Mirabelle Ordinaire
Dernières répétitions de "Kurt Weill Story", le spectacle conçu par la jeune metteure en scène Mirabelle Ordinaire pour la prestigieuse Académie de l’Opéra de Paris. On rit, on chante, on bouge, beaucoup, sur le plateau de l’Amphithéâtre Bastille. Hommage au grand mélodiste Kurt Weill, à sa capacité à émouvoir et à faire danser, à l’image de son célèbre tango "Youkali". Première le 17 mars.
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Ce n'est pas la grande salle de l'opéra Bastille, mais il se situe juste à côté, dans le même bâtiment : l'Amphithéâtre Bastille. C'est là qu'ont lieu les représentations de l'Académie de l'Opéra de Paris, structure très renommée, composée d'élèves déjà professionnels venus du monde entier et sélectionnés par la grande maison.
Atmosphère de troupe
L'heure est aux dernières répétitions de "Kurt Weill Story", un spectacle imaginé et mis en scène par Mirabelle Ordinaire avec la direction musicale de Benjamin Laurent, tous deux des anciens de l'Académie (saison 2015-2016) et aujourd'hui appelés à diriger l'opéra comme n'importe quel autre artiste invité. Il n'empêche, est-ce par sa jeunesse, est-ce par son côté polyglotte – elle parle cinq langues et au moins trois (français, anglais, allemand) pour les besoins de la pièce – Mirabelle Ordinaire ne détonne pas dans l'ensemble.Sourire vissé aux lèvres, elle entretient avec les chanteurs et les musiciens une joyeuse atmosphère de troupe – d'ailleurs tous sont détendus, certains se tiennent même par le bras ou par la main – qui sied parfaitement au thème du spectacle.
"Kurt Weill Story" est le récit d'une audition imaginaire pour un spectacle consacré au compositeur de l'"Opéra de quat'sous". Ses personnages ? De jeunes talents, parfaitement comparables à ceux de l'Académie. "Je tenais à ce que le récit parte des chanteurs mêmes, qu’ils deviennent des personnages", explique Mirabelle Ordinaire. "L’audition, à laquelle se greffent toutes sortes d’histoires avec ces personnages, est ensuite pour moi l’occasion d'utiliser des airs de Kurt Weill très différents et puis surtout des airs en allemand, en français et en anglais, les langues que j'aime".
Le tango au coeur
L’idée de l’audition, c’est aussi une manière pour elle de porter son regard et sa curiosité sur le monde du spectacle. Car si elle est jeune, Mirabelle Ordinaire, qui a été l'assistante de Bob Wilson en 2003 à la Comédie Française, a déjà signé quelques mises en scène (à Paris, comme à New York) et une œuvre importante de traductrice de pièces, de scénarios et de livrets d'opéra. "Kurt Weill Story" est un peu à son image : "Un dramaturge a écrit le livret, mais c’est vrai que c’est un peu une synthèse de différents moi. L'écriture, la traduction, la mise en scène et tout le travail de chorégraphie et de mouvement, ça va ensemble", dit-elle.Ses yeux pétillent. On est au cœur de ce qui la porte et sait transmettre sa passion, à l’intervieweur comme à sa troupe. "J'ai beaucoup dansé, et en particulier le tango et ça explique aussi pourquoi j'aime beaucoup Kurt Weill, ce sont des rythmes qui me touchent. Ce que j'ai fait jusqu'à présent part toujours du même endroit : un profond amour de la musique, du texte et de cette possibilité de raconter des histoires en mouvement. Kurt Weill s'est un peu imposé comme une évidence parce qu'il a tout ça dedans".
"Youkali"
Ah, le mouvement ! Les chanteurs, les musiciens sur le plateau ne cessent de bouger, dirigés à distance mais activement par la metteure en scène : par duos, puis par petits groupes, avant, arrière, de côté. Direction d’acteurs au centimètre. Les répétitions vont bon train, la chanson "Youkali", tango habanera devenu l’un des grands tubes de Kurt Weill, atteint le point culminant. Benjamin Laurent, le directeur musical, poursuit ses réglages avec les douze chanteurs, quatre pianistes et un quintette à cordes (!). Le rythme, d’abord : "Plus court, les cordes ! Dans l’esprit, ça doit être staccato, rythmé !". La prononciation, ensuite. Tous les chanteurs ont appris le français. "Mais il ne faut pas suivre la cadence de Kurt Weill qui lui était Allemand. Bien prononcer distinctement : é-clair… plai-sir !"."Youkali" est un moment privilégié aussi parce qu’il combine l’expression des individualités vocales (et des égos), de très jolis timbres des chanteurs de l’Académie, et une belle choralité (par ailleurs riche en contrepoints d’une grande finesse). Là aussi, métaphore de l’opéra. "Quand on voit des chanteurs d'opéra arriver à chanter comme ils le font, il faut allier deux choses : une individualité extrêmement forte - originalité de la voix, de l'interprétation, de la présence sur scène - et une écoute des autres, une sensibilité par rapport aux autres chanteurs, aux musiciens et au public, sinon ça ne marche pas", explique Mirabelle Ordinaire.
La vérité de l’émotion
"Je voulais vraiment travailler sur l'écoute", insiste-t-elle : "c’est pourquoi j’ai voulu que tous les chanteurs soient présents sur le plateau de l'audition, ce qui n'est généralement pas le cas. Parce l'écoute des autres sur scène guide le regard des spectateurs, j'en suis persuadée. C'est un travail très théâtral de jouer sans chanter et les chanteurs n’en ont souvent pas l’habitude. Et pourtant ça nourrit leur propre chant !". Autre caractéristique de la mise en scène de Mirabelle Ordinaire, les regards des chanteurs qu’elle dirige avec attention pendant les répétitions. "C'est capital, particulièrement dans le "Youkali" ! Quand il arrive qu’un chanteur regarde ailleurs, tout s'effondre. On ne se rend pas toujours compte de l'importance des petits détails. Il y a plusieurs moments intimes dans le spectacle, comme celui où une chanteuse pose son épaule sur le pianiste et qu’on a dû travailler longtemps ! Ces détails, ces moments sont pourtant ceux qui définissent les personnages et qui font qu'on va s'attache à eux", explique-t-elle.A l’opéra, l’ambition de Mirabelle Ordinaire est de "mettre à nu l'émotion, la vérité de l'émotion. Quel que soit l'air qu'on chante, on le chante parce qu'il y a une émotion qui pousse à le faire. Je me suis beaucoup attachée à ça : par exemple dans "La complainte de la Seine", autre incontournable de Kurt Weill, j'ai demandé à la soprano qu'elle pleure, quelle arrive au moment où elle ne peut plus chanter. Ça m'intéresse de les pousser jusqu'à ce point-là, évidemment sans mettre en danger la voix. Mais dans Kurt Weill on n'est pas obligé de pousser la voix… L'idée est d'arriver à la vérité de l'émotion. Quand on y parvient, tout d'un coup la musique s'envole, tout s'envole".
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