"Pelléas et Mélisande" à l'Opéra comique : Louis Langrée livre ses secrets
Signe particulier de cette production de « Pelléas et Mélisande » : la primauté donnée au texte, pas de déclamation lyrique appuyée, mais une parole presque récitée, distinctement audible, que sublime la musique de Claude Debussy. Le texte est celui de la pièce de Maurice Maeterlinck : poésie de désespoir, écrite en clef symboliste en 1893. Histoire d’un amour impossible, celui de Pelléas avec Mélisande, déjà mariée à son demi-frère, le prince Golaud à qui elle doit d’avoir été sauvée quand elle était perdue dans la forêt. Bonheur d’illusion, à l’image du royaume d’Allemonde, où, malgré l’espoir, la tristesse persiste, la mort rôde toujours à cause de la guerre et le peuple crie famine. Le succès du texte de ce Maeterlinck, Belge inconnu quelques pièces plus tôt, est immense.
Simplicité
Debussy n’est pas le seul à la mettre en musique, mais son « Pelléas » créé à la Salle Favart en 1902 fait date. Il deviendra emblématique de l’Opéra comique. Dans une correspondance de 1909, Claude Debussy écrit : « Il faut insister sur la simplicité dans Pelléas – j’ai mis douze ans à en enlever tout ce qui pouvait s’y être glissé de « parasitaire » (…) J’ai essayé de prouver que des gens qui chantent pouvaient rester humains et naturels, sans avoir jamais besoin de ressembler à des fous ou à des rébus ! ».
Parole libérée
Simplicité restituée, aujourd’hui, dans le jeu et le ton, justes, des interprètes, notamment ceux du trio amoureux : le baryton basse Laurent Alvaro (Golaud), nouvellement installé à cette place ; le baryton Martin (donc à la tessiture plus élevée) canadien Phillip Addis (Pelléas), parfait en jeune et naïf et Karine Vourc’h (Mélisande), très physique, tour à tour fragile, énigmatique, froidement sincère (à son mari : « je ne suis pas heureuse ici »), joyeusement passionnée et terriblement séductrice.
Simplicité, aussi, de la mise en scène de Stéphane Brauschweig, qui libère la parole grâce à un dispositif sobre : un phare et un rocher, un espace clos, et l’intérieur triste d’un hôpital. Et, en alternance avec les scènes d’amour, éclairées, la présence de persiennes grises, toujours closes, traduit parfaitement le jeu de pénombre et d’obscurité, inhérent à la pièce même de Maeterlinck.
Louis Langrée, par ailleurs directeur musical du Cincinnati Symphony Orchestra, dirige la production de Pelléas et Mélisande à l’Opéra comique
Quelle est, sur le plan musical, la particularité de « Pelléas et Mélisande » ?
C’est une œuvre singulière, qu’on peut toujours essayer de « moderniser » ou au contraire de « wagneriser ». En réalité, il n’y a pas besoin de l’interpréter, mais il faut mettre en balance les éléments harmoniques, orchestraux, rythmiques qui donnent clarté et densité. Evidemment, il n’y aurait pas ce « Pelléas » si Debussy n’avait été fasciné par Wagner, s’il ne l’avait pas étudié. En même temps, il propose son propre langage : une musique et des textes pleins d’oxymores : densité et clarté, gravité et lumière.
Debussy est proche du théâtre…
L’un des aspects intéressants et rares de « Pelléas » est qu’il ne repose pas sur un livret d’opéra, mais sur une pièce de théâtre. J’ai eu l’occasion de diriger « Ariane et Barbe-bleue » sur un livret de Maeterlinck, et ce n’est pas la même langue. Dans ce texte, il faut toujours être dans le parlé, sans le bavardage. D’autres couleurs sont utilisées, d’autres moyens de déclamation, proches de la conversation.
Comment dirigez-vous les musiciens et les chanteurs ?
Avec les chanteurs et les musiciens, j’ai recours à l’image d’un iceberg, dont on ne voit, sur scène que la partie émergée, mais dont on peut faire ressentir l’immensité. Les musiciens ont une orchestration d’une très grande richesse. Je leur dis de jouer exactement ce qui est écrit, mais d’en conserver le « concentré », comme on laisse réduire une sauce. Et obtenir un son qui ne soit pas épais. Aux chanteurs, je demande de répéter par étapes : en disant la pièce seule, d’abord, puis avec le rythme, avec la topographie mélodique de Debussy et ainsi de suite jusqu’à ce que la musique magnifie le théâtre. Et les chanteurs essaient d’avoir le « naturel » du chant, pour ne pas « subir » les rythmes. L’objectif est de placer le public dans un état de perception différent.
Vous parlez comme un metteur en scène…
Il n’y a pas une seule note qui n’ait pas une résonnance théâtrale. Par exemple : les trémolos de notes, que disent-ils ? Des frissons ? Un brouillard ? La panique ? De la peur ? L’Orchestre des Champs Elysées est formidable. On se comprend, il traduit spontanément les émotions justes.
Comment la dualité lumière/obscurité, joie/tristesse si présente dans la pièce de « Pelléas » se traduit-elle sur le plan musical ?
Je ne sépare pas ces deux états : l’ombre est contenue dans la lumière, l’aboutissement du crescendo est, déjà, un point de faiblesse. Ainsi la lumière de l’Acte II existe par ce qu’elle fait suite aux ténèbres de l’acte précédent. La musique est en retenue. Et l’orchestre peut « s’épanouir » pleinement seulement entre les scènes, quand il n’y a pas de chanteurs.
"Pelléas et Mélisande" jusqu’au 25 février à l'Opéra Comique - 1, place Boieldieu 75002 Paris
Location : 0 825 01 01 23 (numéro indigo 0,15 € la minute)
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