Nous étions aux répétitions de "Samstag aus Licht", le projet fou du génial Stockhausen à la Philharmonie de Paris
"Samstag aus Licht", deuxième volet de l'opéra total (en sept épisodes) de Karlheinz Stockhausen, sera donné à la Philharmonie de Paris ce 29 juin. Nous avons pu assister à l'une des dernières répétitions, avec les précieuses explications de Maxime Pascal, qui dirige. Atmosphère.
C'est une grande salle de répétition de la Philharmonie de Paris. S'y déroule l'une des dernières séances de préparation de Samstag aus Licht, l'opéra de Karlheinz Stockhausen qui sera donné ici même ce 29 juin. Samstag (samedi) est la suite de Donnerstag (jeudi) présenté l'année dernière, deux des sept opéras de Licht (lumière), œuvre gigantesque, sorte de nouvelle création du monde selon le compositeur allemand. Aux commandes, le Français Maxime Pascal, ce chef surdoué biberonné à Boulez et à Stockhausen, justement. Fondateur de l'orchestre sonorisé Le Balcon, il est un des rares à vouloir (pouvoir ?) s'attaquer à l'entreprise.
"Licht a changé ma vie"
"Licht est une des rencontres qui ont changé ma vie de musicien", lâche Maxime Pascal. "Le quotidien du travail de Stockhausen me construit et m'inspire. J'y trouve une joie sensorielle immense, de solliciter mes compétences techniques d'artiste à la fois sur l'oreille, l'esprit, et la vue, puisque Stockhausen a écrit tous les aspects visuels de son opéra".
L'après-midi où nous assistons aux répétitions, on en est à la scène 2 de Samstag : le chant de Kathinka pour le Requiem de Lucifer. Question narration, il faut s'accrocher, comme toujours chez Stockhausen. "Le samedi c'est le jour de Lucifer et le jour de la transition", nous explique Maxime Pascal. La transition ? C'est "le passage de la vie à la mort, mais aussi de la mort à la vie, de l'ombre à la lumière et de la lumière à l'ombre", précise-t-il. Une flûtiste, installée au-dessus du piano (qui, lui, représente la tombe de Lucifer), est un chat ("Kathinka" est un mot composé de "Kat" pour "chat", figure animale du Samedi, de "Think" pour "penser" et de "A" pour "alpha", les débuts) qui s'apprête à jouer une mélodie qui va aider Lucifer à trouver le repos.
Litanie envoûtante
Oublions la complexité. Ce qui compte est la beauté de ces notes lancinantes, une sorte de litanie, ou de prière, pendant ce moment de suspension, littéralement hors du temps : "l'idée est qu'on ne sait pas si on est dans l'avant ou dans l'après, on est entre la nuit et l'aube", précise Maxime Pascal. Tous les sens sont en éveil. De part et d'autre de la salle, non loin de la flûtiste, il y a de drôles de figures, des hommes et des femmes portant des soutanes noires (l'un d'eux avec capuche qui masque son visage), auxquelles sont accrochées toutes sortes de percussions : des tambours, des tubes métalliques, des bois de xylophone, des plaques de cuivre...
Ce sont les figures représentant les cinq sens, justement, accompagnés de la figure de la pensée : six percussionnistes qui font résonner les attirails qu'ils ont eux-mêmes imaginés et fabriqués. La vue, le toucher et l'ouïe se concertent, sous l'œil du chef d'orchestre : question de tempo, mais aussi de puissance de sons, notamment des percussions faites avec des plaques de cuivre, par ailleurs très lourdes à soulever. Une symphonie de cloches, de ronronnements et de sifflements nous envoûte. "Il y a dans tout l'opéra un caractère de rite, de foi mais au sens le plus originel et le plus profond, ce que pouvaient être les prototypes de croyance chez les premiers hommes", dit Maxime Pascal.
Artisanat
L'opéra Samstag aus Licht est présenté dans le cadre de Manifeste, le festival de l'Ircam (le centre de recherche et de création musicale français). Le côté très artisanal des percussions tranche avec l'idée que l'on se fait du travail de ce laboratoire musical, l'Ircam, et de la musique contemporaine. "C'est vrai que dans cet opéra-ci il n'y a pas d'électronique, c'est un autre type de rêve technologique", dit le chef d'orchestre. "En revanche, tout est sonorisé dans Licht : toutes les voix, tous les instruments, même les danseurs parfois sont sonorisés dans leurs gestes. Stockhausen c'est "le" compositeur qui, à la fin des années 70, a commencé à tout sonoriser. Il est vraiment l'un des pionniers de tout cela, au-delà d'être un pionnier de toute la lutherie informatique".
Stockhausen vs Boulez
Maxime Pascal rend décidément hommage à Stockhausen en portant Licht sur scène. Mais son deuxième père en musique n'est jamais loin : "il y a dans Donnerstag aus Licht une dimension autobiographique", avoue-t-il. "La relation Lucifer-Michael (ce dernier étant l'alter ego de Stockhausen) est une relation père-fils, mais aussi une relation fraternelle : ils sont comme des frères qui s'opposent et je ne peux pas m'empêcher de penser à la relation ultraviolente qu'a eue Stockhausen avec Boulez. C'étaient des frères qui ne se comprenaient pas, mais ils n'étaient pas des frères ennemis. Stockhausen disait : on est tous les deux en train de gravir la même montagne. Mais par des versants différents".
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