Les chanteurs de Notre-Dame ont perdu leur "maison"
Plusieurs fois par semaine, tout au long de l'année, week-ends inclus, ils chantent à Notre-Dame de Paris : Mathilde Ortscheidt, 28 ans, Maximilien Hondermarck, 26 ans, font partie du chœur d'adultes de la prestigieuse Maîtrise de Notre-Dame. Henri Chalet, 36 ans, la dirige. Depuis hier, leur "maison" a brûlé, un lieu de travail autant que de vie, chargé de 850 ans d'histoire et de musique.
"On est choqués, hier les images étaient terribles. Je n'ai pas pu rester chez moi, j'avais besoin de voir Notre-Dame et des gens dont c'est la vie depuis près de trente ans, comme les organistes, les professeurs. On était tous touchés, en pleurs", dit Mathilde Ortscheidt, étudiante depuis trois ans à la Maîtrise de Notre-Dame, aujourd'hui dans le chœur d'adultes.
"On est désespérés"
Elle est visiblement émue en parlant de l'incendie qui a ravagé partiellement Notre-Dame lundi 15 avril. Bouleversée. "En trois ans, j'ai pu participer à cinquante concerts et à des dizaines de messes. C'est beaucoup. On est désespérés à l'idée qu'on ne puisse plus y faire de la musique, que ce lieu ne puisse plus être cette maison immuable". Un temps de respiration, puis la détermination, soudaine : "On va le faire".
Henri Chalet est chef de chœur mais aussi directeur de la Maîtrise. Sa réaction de responsable d'ensemble s'est faite en deux temps : "Hier, on ne savait pas trop ce qui pouvait nous arriver. Il fallait réussir à réagir". Une impression vécue déjà – pour d'autres raisons - après les attentats du Bataclan en 2015 et après l'assassinat du père Hamel en 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray : "on a dû préparer une grande messe avec le gouvernement au complet et trois présidents ces deux fois. Ce sont des événements qui marquent en douleur. On est désarmés, on constate impuissants. Mais c'était hier. Ce matin, la question était : comment rebondir, comment faire pour que la Maîtrise continue son devoir d'école de chœur, avec 35 professeurs, et sa saison de concerts".
L'autre question d'Henri Chalet concerne la liturgie : comment faire la Semaine Sainte ? La "messe chrismale" qui réunit tous les prêtres de Paris, se déroulera à Saint-Sulpice. Ainsi, une solution devra être trouvée pour tous les offices jusqu'au dimanche de Pâques. "Nous avons reçu des centaines de messages depuis hier soir. Beaucoup de collègues nous invitent pour des collaborations en hommage à Notre-Dame".
Notre-Dame est une "maison"
La Maîtrise de Notre-Dame est une institution non confessionnelle et soutenue par l'Etat et la Ville. Ses chanteurs sont issus de toutes origines, sociales et confessionnelles. Maximilien Hondermarck est dans le chœur d'adultes depuis six mois. Il est, lui, chrétien : "Pour un catholique parisien, Notre-Dame est une église qui est là et pas là en même temps. Ce n'est pas une paroisse comme une autre, elle est davantage fréquentée par les touristes, c'est normal. Mais depuis que je la connais par la Maîtrise, je la ressens profondément au cœur, autant musicalement que sur le plan spirituel". Mathilde, elle, n'est pas catholique. "Mais c'est ma maison, et elle dégage une grande spiritualité : une chose très personnelle se crée avec ce lieu".
"C'est un endroit où on se sent bien", poursuit Mathilde. "Un lieu ouvert sur le monde extérieur, évidemment, mais pour nous c'est aussi notre maison, où on peut chanter deux, trois, parfois quatre fois par semaine". Notre-Dame compte mille offices par an et pour chacun, une personne au moins de la maîtrise vient animer le chant, sans parler des week-ends.
"Mille ans de musique derrière nous"
"Quand on rentre à Notre-Dame, on ressent qu'on a derrière nous mille ans de musique", dit Maximilien Hondermarck. "Avant moi, d'autres étudiants, d'autres chanteurs ont fait de la musique en ce même lieu depuis une éternité". "Oui, c'est un symbole de la continuité dans les siècles", prolonge Henri Chalet.
Notre-Dame, ce sont des souvenirs à la pelle. Le plus marquant, pour Mathilde Ortscheidt, le "Membra Iesu Nostri" de Bixtehude présenté en 2017, c'était la première fois qu'elle chantait seule ("trois lignes, mais très fortes", précise-t-elle) à Notre-Dame. Magique. "Et puis on vient de chanter la 'Passion selon Saint-Mathieu'. Dans ce lieu, la pièce de Bach a une saveur, une ampleur qui sont autres. C'est ce qui me manque. Que la musique ne résonne plus dans ces murs me manque déjà".
"La musique ne s'arrêtera pas"
Le souvenir de Maximilien c'était le 14 avril, le dimanche des Rameaux, début de la Semaine Sainte. Le souvenir reste figé : "On chantait le 'Christus Factus Est', un chant grégorien qui évoque la mort du Christ. A cappella, dans la cathédrale, c'était incroyable ! Je n'oublierai pas le regard 'avec amour' du chef Sylvain Dieudonné (chargé du répertoire médiéval, ndlr).
Henri Chalet n'a pas un souvenir qui ressorte. "Dès que je rentre dans cette cathédrale je suis heureux", lance Henri Chalet : "il y a une telle force, une telle beauté de la liturgie et de la musique que tous les sens se mettent en éveil. Ça me fait toujours le même effet, je ne suis pas blasé. C'est une chance et un honneur d'être à ce poste. Chaque jour est un bon souvenir". Henri Chalet ne veut être qu'optimiste. "Notre-Dame a survécu à la Révolution, aux guerres, il y a eu beaucoup de douleur. Mais il y a eu des moments de fête : le sacre de Napoléon, la Libération de Paris… Et encore plus d'histoires musicales : Notre-Dame a connu la naissance de la polyphonie, le début de l'écriture rythmique… Ce n'est pas possible que la musique s'arrête !"
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