"Le Roi Pasteur" au Châtelet : un Mozart version manga
On n’avait pas vu ce « Roi Pasteur » (« Il re pastore ») à Paris depuis des lustres. Il nous revient, disons-le d’emblée, dans une très jolie production. Une production moderne et intelligente qui –ce n’est pas si fréquent- plaira aussi beaucoup aux enfants. Il fallait d’ailleurs cela car l’histoire est assez simplette.
Alexandre le Grand a renversé le tyran de Sidon. Il charge Agénor, prince local, de retrouver l’héritier légitime. Agénor est fiancé à Tamiri, fille du tyran, qui redoute la colère d’Alexandre. Agénor retrouve l’héritier, Aminta, qui est devenu berger et fiancé à Elisa, une bergère. Aminta veut-il le trône? Est-il capable d’y monter? La réponse est évidemment oui. Alexandre veut fiancer Aminta à Tamiri, qui a, elle, un profil de reine. Les deux couples d’amoureux sont au désespoir. Mais Alexandre, informé de ces amours, se montrera finalement magnanime, sage et juste : Agénor partira avec sa Tamiri, le roi pasteur Aminta épousera sa bergère.
JL Serra, M.Caillaud, S.Fouquet, L.Kulimpetoke
Le toujours inventif directeur du Châtelet, Jean-Luc Choplin, a eu l’idée d’une mise en scène à deux têtes : au jeune Olivier Fredj les déplacements, la mise en espace, la direction d’acteurs; au plasticien Nicolas Buffe décors, costumes et cette atmosphère entre manga (Buffe en est spécialiste et vit à Tokyo) et… « Guerre des étoiles » ! Un superbe dessin animé projeté pendant l’ouverture nous conduit sur la planète Sidon grâce au vaisseau spatial d’Alexandre. Décors étonnants avec voûte céleste, vaisseaux traversant un ciel argenté, costumes psychédéliques (sous influence aussi de la pop culture, entre Moebius et « Barbarella ») Les moutons sont des petits robots ronds à tête d’aspirateur (est-ce parce que les aspirateurs aspirent les moutons?), on verra même à la fin décoller en fond de scène une belle fusée toute jaune.
Bien sûr les puristes hurleront qu’on assassine Mozart. Deux dames devant moi, sans doute ignorantes des références de Buffe, se battent presque avec leur voisin, plus séduit. Heureusement, clament-elles, il nous reste la musique (comparant presque ce « Roi Pasteur » au génial « Don Giovanni », ce qu’il ne vaut largement pas…) Réaction minoritaire (le public de cette première a beaucoup applaudi) mais qu’il faut signaler. Car on émettra tout de même quelques réserves. Tout à son bonheur de créateur et à son imagination débordante, Buffe écrase l’histoire au point de la rendre encore plus prétexte. Si les costumes d’Alexandre (le premier tout doré avec un œil clignotant rouge sur la poitrine, le second d’un pourpre somptueux de samouraï), ceux d’Agénor et de Tamiri (très « créatures intersidérales »), sont réussis, nos deux bergers, l’un en garagiste, l’autre avec des oreilles de lapin et un pantalon rouge à pois, nous ont laissé perplexe. Côté voix l’Alexandre de Rainer Trost, aux aigus serrés, aux vocalises hasardeuses, a pour lui ses qualités d’acteur. Krystian Adam est un très bon Agénor, touchant et jamais mièvre et d’un beau timbre de baryton. L’Elisa de Raquel Camarinha a beaucoup de présence, son air « Barbaro » est superbe d’engagement et de sensibilité. Plus pâle la jolie voix du roi-berger Soraya Mafi (une soprano) mais elle émeut dans le plus bel air de l’œuvre, « L’amero, saro costante ». La Tamiri de Marie-Sophie Pollak a la technique et la justesse mais le chant est froid, sans sentiment.
Jean-Christophe Spinosi a, semble-t-il, soufflé à Choplin l’idée de ce « Roi Pasteur ». A la tête de son ensemble Matheus il déploie ses qualités habituelles d’énergie, de fluidité, de constante attention aux chanteurs, un peu, comme souvent, au détriment de la beauté sonore. Le continuo de Felice Venanzoni est étonnant, pianoforte mâtiné de synthétiseur et de divers bruits façon onomatopées : c’est assez gonflé mais on aime beaucoup! Mention enfin aux acrobates-gardes d’Alexandre, têtes de Dark Vador et pirouettes de circassiens aguerris. Oui, un joli spectacle, pour tous ceux qui pensent que le génial Mozart peut s’adapter à tous les univers. Nous en sommes.
"Le Roi Pasteur" de Mozart au théâtre du Châtelet
Du 22 janvier au 1er février 2015 à 20 heures (1er février à 15h)
1, Place du Châtelet, Paris Ier
Réservation : 01 40 28 28 40
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