Le "Comte Ory" éblouissant de Denis Podalydès à l’Opéra-Comique
![Philippe Talbot (Comte Ory), Julie Fuchs, Gaëlle Arquez dans le Comte Ory
(Vincent Pontet/Opéra Comique)](https://www.francetvinfo.fr/pictures/4jcH-z9ZTmKJ-YFh-PH5KOcv8AI/55x0:943x499/432x243/2019/04/12/ory_2.jpg)
L’histoire est censée se passer au temps des croisades. Les femmes sont seules et soupirent après leurs maris lointains, quand ils ne sont pas morts comme celui de cette jolie Comtesse (Julie Fuchs). Le comte Ory (Philippe Talbot), jeune débauché qui n’est pas parti se battre au désespoir de son père, veut séduire la veuve avec l’aide de son fidèle Raimbaud (Jean-Sébastien Bou). Ils se déguisent en prêtres et la séduction de leurs sermons touche aussi considérablement l’assemblée de ces femmes sans hommes. La comtesse elle-même… ! Mais Ory est dénoncé par Isolier, son propre page (Gaëlle Arquez dans un rôle travesti), qui est épris de la Comtesse, et finalement rattrapé par l’envoyé de son père (Patrick Bolleire).
Ory fera une seconde tentative, s’introduisant avec ses chevaliers déguisés en nonnes dans le château de la belle Comtesse, qui, cette fois, n’est pas insensible à cette femme étrange et hommasse mais Isolier, de nouveau, sauvera sa belle du péché pendant qu’on annonce le retour des croisés après cinq ans d’absence (et donc d’abstinence pour leurs épouses).
La mise en scène très fine de Denis Podalydès
Denis Podalydès invente une mise en scène très jolie, très fine, en insistant sur les interdits d’un temps qui privait les femmes de tout accès à leur corps, bridant leurs désirs sous le regard de la religion, ce qui valait pour le Moyen Âge mais aussi pour l’époque de l’œuvre, cette Restauration mal connue qui voyait, sous Charles X, le retour à la monarchie absolue, et qui vaut également pour aujourd’hui où tant d’interdits ont encore la vie dure…![Philippe Talbot (Comte Ory), Jean-Sébastien Bou, Eve-Maud Hubeaux
(Vincent Pontet/Opéra Comique)](https://www.francetvinfo.fr/pictures/EyPzMuLs8KkxhTWHrHy_4OX7bFk/fit-in/720x/2019/04/12/ory_1.jpg)
Les ravissants costumes de Christian Lacroix s’inspirent, dans des tons de brun et d’olive, de Boilly, ce peintre si charmant des années 1820 qui a représenté avec vivacité la société de l’époque. Mais l’idée d’habiller les femmes en noir, à la manière des paysannes espagnoles, quand elles sont réunies, est moins heureuse même si Julie Fuchs, dans son costume d’Arlésienne en deuil, fait son effet.
![Philippe Talbot (Comte Ory), Julie Fuchs (la Comtesse)
(Vincent Pontet/Opéra Comique)](https://www.francetvinfo.fr/pictures/RlUXx_L41WKS-U_JwKe-YB3Ot6Y/fit-in/720x/2019/04/12/6_-_le_comte_ory_dr_vincent_pontet.jpg)
Julie Fuchs éblouissante
Fuchs, éblouissante, on l’a dit. Gaëlle Arquez, en Isolier, redingote verte et pantalon crème, a déjà tout, les graves de mezzo, les aigus charnus, le médium, l’abattage, la ligne musicale. Et un charme infini. Philippe Talbot, en Ory, réussit à mettre de l’émotion dans ce personnage dont il préserve l’ambiguïté, moins séducteur à la Don Juan que ce qui est écrit, et sans doute sincèrement amoureux des femmes qu’il croise en un temps où la guerre est la première préoccupation : c’est aussi ce qui fait le scandale du personnage. Les trois sont remarquables dans le sommet musical de l’œuvre, le trio "A la faveur de cette nuit obscure", où la poésie intense et délicate de l’écriture préfigure le fameux "Nuit d’ivresse et d’extase…" des "Troyens" de Berlioz. Quant à Eve-Maud Hubeaux, qu’on nous annonçait malade, elle a dû le faire dire pour qu’on applaudisse encore plus son abattage et sa superbe voix de contralto en dame Ragonde, une sorte de duègne. Prestation sans reproche de Jean-Sébastien Bou dans son air "Dans ce lieu solitaire" qui est un hymne aux plaisirs bacchiques et à notre terroir vinicole ! Patrick Bolleire ne démérite pas, mais a un peu plus de mal à maîtriser les grands écarts du "Veiller sans cesse", son air fort long et qui demande souffle.![Philippe Talbot (Comte Ory), Julie Fuchs (la Comtesse), Gaëlle Arquez (Isolier)
(Vincent Pontet/Opéra Comique)](https://www.francetvinfo.fr/pictures/RnQNxa8bUeGSf0UGhPKQs7ILKho/fit-in/720x/2019/04/12/9_-_le_comte_ory_dr_vincent_pontet.jpg)
On a aimé aussi certains détails de mise en scène, Ory, pendant son prêche, un gant noir et un gant rouge, Dieu et le diable réunis ; l’idée du paralytique qui, au premier mot des prédicateurs, laisse tomber ses béquilles pour célébrer un miracle. Et bien sûr (là c’est Podalydès en formidable directeur d’acteurs) le fameux air de Fuchs où elle chante "Daignez guérir le mal terrible dont je me sens mourir. Soulagez ma douleur. Rendez-moi le bonheur". Ce mal, qu’on appelait "hystérie" à une certaine époque (du grec "hustera", utérus), est simplement celui d’une femme qui, depuis cinq ans, n’a pas eu d’homme dans son lit, et Fuchs le joue d’une manière totalement délirante tout en étant admirable vocalement.
![Philippe Talbot, Julie Fuchs, Jodie Devos, Eve-Maud Hubeaux
(Vincent Pontet/Opéra Comique)](https://www.francetvinfo.fr/pictures/NBe0XPQLpcLrzybpxb7YkNDjnL8/fit-in/720x/2019/04/12/7_-_le_comte_ory_dr_vincent_pontet.jpg)
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