Cet article date de plus de dix ans.

"La Traviata" ce soir sur Culturebox, les secrets de la signature Benoît Jacquot

Après "Werther" de Massenet, monté à Londres puis à l'Opéra Bastille, Benoît Jacquot poursuit la mise en scène d'opéra avec "La Traviata" présentée à Bastille, et ce soir à 20h sur Culturebox. Choix scéniques, dramaturgie, lumières, Benoît Jacquot nous explique tout, avec l'aide de deux des artisans du plateau de "La Traviata" : André Diot, aux lumières et Sylvain Chauvelot, aux décors.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Benoît Jacquot pendant les répétitions de La Traviata à Bastille.
 (Elisa Haberer)
Benoît Jacquot, metteur en scène

Que vouliez-vous mettre en exergue dans La Traviata ?
Le chant, sa force, son drame. La dramaturgie et l'espace scénique sont construits de manière à être au plus près de l'émotion ; une "boule émotive" qui se développe durant plus de deux heures et qui ne tient pas au livret lui-même, mais à ce qu'il devient porté par le chant et sa musique.

En termes de scénographie, cette mise en scène est marquée à la fois par le gigantisme et le dépouillement.
J'ai voulu condenser chacun des quatre tableaux en un seul élément de décor mais qui prenne toute la place ; de façon telle que soit manifestée une disproportion qui met immédiatement l'accent sur ce qui compte pour le drame. Dans le 1er tableau, chez Violetta, c'est le lit, l'instrument de travail de cette courtisane. Il est hors des proportions convenues. Accrochée au dessus de ce lit, la reproduction de "l'Olympia" de Manet. La Traviata m'a toujours fait penser à Manet et à ce tableau particulièrement. De la même façon, j'ai représenté les chœurs comme un régiment de fêtards vêtus de noir, avec le frac et le haut de forme. C'est l'uniforme de la fête obligée. C'est une idée qui me vient aussi de Manet, du "Jardin des Tuileries" où est représentée une armée d'hommes en chapeau debout, les femmes en crinoline étant assises.
Premier tableau (acte 1) la chambre de Violetta.
 (Opéra national de Paris/Elisa Haberer)
Le 2e acte (le drame de Violetta qui accepte de sacrifier son amour et sa vie) est composé de deux tableaux qui se partagent la scène…
Oui, le premier tableau du 2e acte est marqué par un arbre immense qui est l'emblème de la campagne où se déroulent les scènes clef du drame. L'action se déroule sous cet arbre la nuit tombant avec un effet de crépuscule ; à la fin de ce 1er tableau les lumières s'allument violemment côté cour et ce qu'on devinait obscurément s'éclaire fortement et d'un seul coup un escalier très monumental indique qu'on est chez Flora, l'amie de Violetta qui organise la fête de carnaval. De plus, tout au long du 1er tableau, des figurants sont placés dans la partie non éclairée de façon "gelée", c'est-à-dire qu'ils sont fixes comme des mannequins de façon à ce qu'on les devine à peine. C'est comme un présage assez menaçant qui est là. Tout d'un coup ils s'éclairent et leur mouvement signe le passage au tableau suivant. De même que le "jardin" ne fait plus que se deviner, quand il est dans l'obscurité, et sert de rappel, dans le tableau suivant, de ce qui s'est passé. Enfin, au 4e tableau, on revient chez Violetta, mais là le lit a changé de place et il est dévasté, le tableau est renversé, un petit lit d'agonie s'est ajouté, dans lequel gît la "Traviata" mourante.

Dans le 2e acte, le passage du drame (1er tableau) à l'espagnolade (2e tableau) joyeuse à l'excès, est très brusque.
Je n'ai jamais assisté à aucune Traviata de ma vie. Mais apparemment, il arrive que l'on supprime ces espagnolades. Ces intermèdes un peu loufoques (la mascarade, les travestissements, les femmes barbues, les danses grotesques) peuvent paraître comme des pièces rajoutées. Moi j'ai essayé de leur donner une nécessité qui est celle du carnaval dans lequel s'inscrit le drame et de la fête triste, voire funèbre, que je trouve vertébrale dans La Traviata.
L'espagnolade sur l'escalier géant.
 (Opéra national de Paris/Elisa Haberer)
Faites-vous chanter dans "La Traviata" les interprètes au plus près de la fosse, comme dans "Werther" ?
Oui, plus encore que dans Werther. À chaque fois qu'il y a des airs, et la Traviata n'en manque pas, les interprètes viennent les chanter près de la fosse, devant l'orchestre et pour le public. Les gens viennent pour cela.

Y a-t-il une esthétique presque cinématographique ?
Non. Mais il y a des images qui viennent de la peinture (Manet notamment), comme du cinéma. Des films dont le fond est cette époque, avec ce milieu social, des courtisanes, des protecteurs. Il y a "Nana" de Jean Renoir ou les films de Erich von Stroheim et d'autres encore qui appartiennent au cinéma muet, un cinéma dont, c'est vrai, ici l'influence est forte.
Sous l'arbre géant, le drame. Le clair-obscur est l'oeuvre d'André Diot.
 (Opéra national de Paris/Elisa Haberer)
Le clair obscur d'André Diot (responsable des lumières)

"L'écriture de lumière vient du scénario et des choix de mise en scène de Benoît Jacquot. C'est vrai que le faible éclairage me colle à la peau, le critique de cinéma Michel Courmot m'avait un jour qualifié "d'obsédé du couvre feu" ! (…) Le clair-obscur est présent, notamment dans la chambre (1er tableau, 1er acte), dans la scène de l'arbre (1er tableau, 2e acte), mais parce que le scénario le demande. Certes, on n'y reste pas longtemps parce qu'on n'est pas au cinéma, les gens veulent voir les visages. Mais c'est important qu'il y ait un jour qui descende vers le soir. C'est important, quand on ouvre sur le troisième acte (tableau de la chambre), et on sait que Violetta va mourir, qu'elle soit là dans l'ombre, puis qu'elle revienne dans la lumière, parce qu'elle sent qu'elle revit… C'est ça l'écriture."
  (Opéra national de Paris/Elisa Haberer)
Sylvain Chauvelot (responsable des décors) : "imaginer le vide autour des décors géants"

"Le gigantisme des décors donne le symbole (ce sont des totems) et la force. Et on n'a pas besoin de remplir autour. C'est un peu inquiétant pour un décorateur de ne rien imaginer d'autre ! (…) L'un des défis était l'articulation, l'équilibre entre les différents tableaux. Et en particulier le passage du 1er au 2e tableau à l'acte 2 (de l'arbre à l'escalier). On a trouvé cette idée de faire tomber la nuit sur le premier tableau et de faire naître dans l'immédiateté la partie hôtel particulier, chez Flora, avec cet escalier gigantesque. (…) L'esthétique de cette Traviata doit évidemment à la peinture, avec l'influence exercée par Manet sur Benoît Jacquot. L'exposition au Musée d'Orsay, "L'impressionnisme et la mode", fin 2012, m'a vraiment parlé et a donné "l'humeur" des tableaux de notre Traviata : l'atmosphère fin second Empire, début 3e République, avec les hommes en noir au chapeau haut de forme. Quand je vois ces hommes sur scène, je pense même aux automates de "Métropolis" de Fritz Lang".



"La Traviata", vendredi 20 juin 2014 à 20h sur Culturebox

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.